LE DÉPARTEMENT DE CAUCA

POPAYÁN, SILVIA

SAN AGUSTÍN ET TIERRADENTRO

Le département de Cauca

Situé dans la partie sud-ouest de la Colombie, le département de Cauca constitue sans doute l'attraction touristique la plus extraordinaire du pays, puisqu'on y retrouve un amalgame historique, ethnographique, archéologique, culturel et écologique sans précédent dans le monde.Bordé au nord par les départements de Valle de Cauca et de Tolima et au sud par les départements de Putumayo et de Nariño, El Cauca, d'une superficie de 31 000 km2, est limité à l'est par les départements de Caquetá et de Huila, et à l'ouest par le département de Nariño de même que par l'océan Pacifique. On y compte près de un million d'habitants.El Cauca compte 34 municipalités dont Popayán, la capitale, et c'est dans ce département que prennent leur source les quatre fleuves principaux de Colombie : le río Cauca, le río Magdalena, le río Patía et le río Caquetá. On y trouve aussi l'une des montagnes les plus hautes de Colombie, le mont Puracé avec ses neiges éternelles, qui culmine à 4 600 m, alors que sa température se situe en moyenne à 20oC.

Popayán

Capitale du département de Cauca, Popayán est un pied-à-terre essentiel pour ceux qui désirent se familiariser avec l'histoire, l'ethnographie et l'archéologie du pays réunies dans le triangle Popayán-Tierradentro-San Agustín. Popayán est une ville tranquille, dont le centre a été déclaré patrimoine national et où l'hébergement et la restauration sont plus économiques qu'ailleurs au pays, tout en offrant une meilleure qualité.

Don Quijote de la Mancha, de Miguel de Cervantes, une sculpture dans

un parc, à l'entrée de Popayán.

Une chiva, au centre ville de Popayán.

L'hôtel Monasterio occupe un ancien monastère.

Un peu d'histoire

Le 24 décembre 1536, le capitan Juan de Ampudia et ses soldats occupèrent un site dans la région en attendant la venue de leur chef, Sebastián Moyano de Belalcázar, qui fonda Popayán le 13 janvier 1537, à titre de général de Francisco Pizarro, alors gouverneur du Pérou. Le 15 août de la même année, Belalcázar fit célébrer une messe en grande pompe sur la place publique de la nouvelle colonie qu'il baptisa alors officiellement, au nom de Charles Quint, Asunción de Popayán. Dès cet instant, la ville joua un rôle plus important que Cali dans le développement de la Colombie, parce que située sur la route reliant Cartagena de Indias à Quito en Équateur et à Lima au Pérou. Après la victoire sur les Pijaos, Popayán devint le siège du gouvernement régional, assujetti à Quito en Équateur et plus tard à Bogotá. À cette époque, beaucoup de grands seigneurs caleños s'y faisaient construire des hôtels particuliers, à titre de résidence secondaire, pour bénéficier du climat accueillant dont la température se situe aux alentours de 18oC, la ville étant nichée à 1 700 m au-dessus du niveau de la mer. Selon certaines sources, Popayán signifierait "pour l'honneur du plus grand cacique", alors que d'autres affirment que le nom provient de pampayán, qui est composé de deux termes, soit pampa, qui signifie "vallée" en langage quechua, et yan qui signifie "fleuve". Popayán serait donc une vallée où serpente un fleuve, en l'occurrence le río Cauca.

Popayán aujourd'hui

Popayán aujourd'hui est l'une des villes anciennes les plus typiques de la Colombie. Véritable joyau colonial, le centre-ville a du être rénové presque en totalité, pierre par pierre pour en conserver l'authenticité, à la suite du tremblement de terre dévastateur du 31 mars 1983. Ici, pas de gratte-ciel, sauf les clochers des églises qui se dressent comme autant de trophées à la gloire du passé et qui se détachent des autres immeubles ne dépassant jamais deux étages de hauteur. Tous les édifices sont peints en blanc selon un édit municipal datant des lendemains de la tragédie. L'éclairage des rues étroites, surplombées par des balcons en fer forgé, est assuré par des lampadaires, en fer forgé aussi, tandis que les toits des édifices sont en tuiles rouges, le tout conférant un aspect unique qui, de jour ou de nuit, transporte tel un voyage à travers le temps, à une époque où les chevaux des conquistadores trépignaient encore sur ses pavés.

Tous les édifices de Popayán sont peints en blanc, selon un édit municipal.

Silvia

Silvia est un pueblito colonial de moins de 5 000 habitants situé à quelque 70 km de Popayán et à 2 500 m d'altitude : la température varie entre 14oC et 18oC. Le village à lui seul vaut le déplacement surtout à cause de ses petites maisons toutes simples souvent blanches avec des toits de tuiles rouges qui s'alignent dans de petites rues étroites. Mais le summum de l'intérêt survient le mardi, jour du marché, qui se tient dans les rues du centre du village, alors que les Guambianos descendent des montagnes environnantes, tôt le matin, pour l'installation de leurs échoppes.

Dès 6 h, le Guambianos arrivent en chivas en provenance des villages environnants.

Dès 6h donc, ils arrivent en chivas chargées de tout ce qu'ils désirent vendre et étalent les produits de leur ferme, fruits, légumes, fromages, poulets, et les pièces d'artisanat – des vêtements, de la poterie et des bijoux – qu'ils ont confectionnées. Si l'artisanat peut susciter la curiosité, c'est avant tout le rituel de l'installation qui saura charmer le visiteur.

 

Guambianos, au marché de Silvia

Pour profiter du spectacle (!), il convient d'arriver dès 7h le matin, ou même de coucher sur place, car la route est longue depuis Popayán. En voiture, on doit compter 1 heure 30 min de trajet, par une petite route asphaltée qui, en quittant l'Autopista Cali-Popayán à Piendamo, grimpe difficilement dans un parcours sinueux en montagne avant d'atteindre Silvia. Le paysage est magnifique alors que le soleil se lève sur les Andes mystérieuses dont la crète disparait souvent dans la brume matinale blafarde et froide.Le marché de Silvia, qui se tient de l'aurore jusqu'à 13h, est reconnue comme unique à travers la Colombie à cause du grand rassemblement d'Indiens guambianos qu'on y retrouve.

Chapelle sur les hauteurs de Silvia.

Silvia vue de la chapelle.

Malgré le rapprochement avec la civilisation, les Guambianos ont en effet conservé intactes leur langue et leurs traditions. Les femmes guambianas sont vêtues d'une longue jupe noire qui descend jusqu'aux pieds, et qui est agrémentée d'une ou plusieurs bordures roses. Sur les épaules, elles portent une mante de couleur bleu royal, bordée d'une frange fuchsia par-dessus laquelle elles disposent plusieurs rangées de colliers de grains blancs. La tête est couverte d'un chapeau rond, noir ou gris, alors que les pieds sont chaussés de bottines de cuir brunes ou noires. Pour leur part, les hommes sont vêtus d'une jupe qui descend aussi jusqu'aux pieds, et qui présente les mêmes couleurs que la mante des femmes, noire et fuchsia. Par-dessus la chemise, ils portent aussi une mante confectionnée avec le même matériel et avec les mêmes couleurs que la jupe des femmes. Ils chaussent des bottines de cuir noires ou brunes et ils sont coiffés d'un chapeau rond.

Famille de Guambianos, sur le chemin de Piendamo sur les hauteurs de Silivia.

Les Páez

Ramiro est un Indien páez qui travaille à l'hôtel où je réside. La propriétaire, la señora Yolanda Mosquera, lui a demandé de prendre la journée pour me servir de guide et me conduire à Silvia en voiture. Il doit s'assurer que j'y sois dès 7h du matin, pour ne rien manquer de ce mardi de marché guambiano. Je ne parle pas très bien espagnol et, tout au cours de la journée, il devra se montrer patient en répétant souvent les mêmes explications. Les Páez habitaient cette région longtemps avant l'arrivée des Espagnols et, bien que ces derniers se soient approprié leurs terres, les Páez ont conservé leur fierté. Ils ont en effet gardé intactes leur culture, leur langue et beaucoup de leurs coutumes ancestrales. Graduellement cependant, ils modifient leurs habitudes, victimes d'une incompréhension systématique de la part des Blancs. Par exemple, les Páez ont toujours su maintenir l'équilibre entre leurs besoins et l'exploitation des ressources naturelles, un concept inconnu chez les Blancs. Aujourd'hui, on compte environ 25 000 Páez, répartis sur 3 000 km2 dans les montagnes entourant Popayán, Tierradentro et San Agustín. Ils y cultivent le maïs, les fèves, le manioc et certains autres fruits et légumes qu'ils vendent dans les marchés avoisinants. Ils ont leur propre entité gouvernementale, formé d'un conseil élu annuellement. Ils vivent en organisation hiérarchique qui contrôle leurs activités et distribue le travail communautaire, et qui agit comme autorité juridique pour l'ensemble de leur société. Leurs habitations sont construites en bambou avec des toits de chaume. Elles varient en dimension et en sophistication, selon le climat et les ressources locales. Les Páez sont d'excellents artisans et confectionnent eux-mêmes leurs vêtements, avec du chanvre notamment. Jusqu'à dernièrement, ils fabriquaient aussi les accessoires nécessaires à la vie courante, comme des cuillères de bois et de la vaisselle en terre cuite.Ils ne savent rien ou prétendent ne rien savoir des statues, des tombes et des trésors archéologiques découverts un peu partout dans les montagnes de San Agustín et de Tierradentro.

San Agustín

San Agustín est, sans contredit, le site archéologique le plus fascinant de toute l'Amérique latine, situé à quelque 110 km au sud-est de Popayán, non plus dans le département de Cauca, mais bien dans celui de Huila. Il faut compter 7 heures d'un trajet éreintant, en véhicule tout-terrain – le moyen de transport privilégié pour les excursions organisées par les agences de voyages –, la route en terre sillonnant la cordillère Centrale dès sa sortie de Popayan n'étant pas très bien entretenue. Il est possible aussi de se rendre à San Agustín en autocar à partir du Terminal de Transportes de Popayán, mais il faut aussi s'attendre à un voyage incorfortable.

Cette petite ville paisible de quelque 30 000 habitants – dont 10 000 à San Agustín même, et le reste dans la banlieue rapprochée –, est érigée dans la région où habitait, il y a des siècles, une civilisation indigène que les archéologues ont baptisé San Agustín, faute de mieux, puisqu'ils n'en connaissent ni les origines ni les causes de sa disparition. Seul un grand nombre de vestiges du passage de ces Indiens est encore présent comme des terrasses, des routes, des fondations de villages, dispersés sur plus de 200 km2 dans des montagnes atteignant 1 700 m d'altitude. On trouve aussi un nombre impressionnant de sculptures et de statues qui ont été regroupées au Parque Arqueológico, site qui a été déclaré patrimoine historique et archéologique mondial par l'Unesco en décembre 1995. Les premières informations concernant ces vestiges remontent à 1758, lorsque Fray Juan de Santa Gertrudis visita les lieux pour la première fois. Mais il faut attendre en 1913 avant qu'un archéologue allemand, K. TH. Preuss, en fasse les premières constatations scientifiques. D'autres éminents spécialistes suivront et y feront des études et des analyses poussées, notamment José Pérez de Barradas en 1936, Gerardo Reichel-Dolamtoff en 1966 et Luis Dunque Gómez depuis 1943. Selon ces spécialistes, la région était un site sacré pour ces Indiens qui pouvaient venir de très loin y enterrer leurs morts et vénérer leurs dieux. La plupart des statues, de dimension impressionnante, représentent en effet des dieux associés aux enterrements. Les premiers Espagnols les déterraient en cultivant leurs champs. Un certain nombre d'entre elles furent sans doute détruites et c'est la raison pour laquelle on a décidé de les transporter sur un même site, aujourd'hui le Parque Arqueológico, là où déjà la majorité avait été découverte. Les chercheurs du parc sont cependant d'avis qu'ils n'ont mis au jour que 60% de la statuaire, et tous les fermiers et les habitants des environs sont constamment en état d'alerte afin d'éviter de nouvelles pertes de cet héritage unique au monde.

Statuaires, au Parque Arqueológico de San Agustín

Rien ou à peu près n'est connu de cette civilisation dont les origines remonteraient à aussi loin que 3 500 ans av. J.-C. On sait cependant que sa disparition coïncide avec l'arrivée des premiers Espagnols en Colombie. Certaines statues d'ailleurs, plus grossières, ne laissent aucun doute quant à leur ancienneté, en comparaison avec le style et le raffinement d'autres statues plus modernes et plus épurées, exécutées longtemps après les premières esquisses.

La visite du Parque Arqueológico San Agustín s'effectue à pied. Il s'agit d'un gigantesque cimetière indigène qu'on peut sillonner en moins d'une heure pour y admirer 130 statues sculptées à différentes époques, soit depuis 3 000 ans av. J.-C. jusqu'au début de la période coloniale. Mais rien ne vaut une visite avec un guide qui saura s'arrêter et donner toutes les explications nécessaires pour pouvoir apprécier à sa juste valeur la richesse que contient chacune des statues ou groupes de statues uniques au monde. Une visite guidée dure 4 heures. Le meilleur guide – il parle français, anglais, italien et allemand en plus de l'espagnol –, est le guide professionnel Lucio Moreno Bravo Muños. Natif de San Agustín, il s'intéresse au site depuis son enfance, et en parle avec un amour non dissimulé comme si c'était son propre jardin des merveilles. Le coût de ses services est fixé à 50 000 pesos par visite, par groupe de 10 personnes, ce qui revient à moins de 5 $US par personne. À ce prix, il accepte aussi les pourboires.

Des représentations agressives conçues pour intimider l'ennemi.

Pour ce qui est de la statuaire même, sculptée dans des pierres volcaniques, les caractéristiques anthropomorphiques sont impressionnantes avec des représentations agressives conçues pour intimider l'ennemi ou des images sereines visant à l'apaiser. Certaines statues portent des têtes gigantesques qui forment la moitié du corps où apparaissent des traits de visage profondément incrustés et, souvent, des lèvres épaisses d'où surgissent des crocs de jaguar. Selon les spécialistes, la disproportion et le raffinement de la sculpture de la tête en comparaison avec la schématisation du bas du corps et des pieds signifient que les indigènes de l'époque accordaient plus d'importance à l'intelligence qu'au physique. D'autres statues sont zoomorphes et sont des représentations d'animaux sacrés comme le condor ou la grenouille.

Le parc est divisé en quatre sites (mesitas) principaux, trois sites complémentaires et un jardin de statues. Sur les mesitas A et B, C et D, on trouve des monticules qui servaient de temples et où se sont disposés des groupes de statues souvent surmontées d'une pierre tombale. Les statues présentent la plupart du temps des têtes énormes, en comparaison avec leurs petites jambes. Elles prennent aussi la forme de figures d'animaux et même de centaures à tête d'animaux et à corps d'homme, ou le contraire. À la Mesita B, on s'attardera surtout à "l'Évêque", une stèle à têtes humaines sculptées tête-bêche. Souvent, ces statues sont entourées par d'autres statues plus petites, des guerriers, dont la fonction intemporelle est de protéger les plus grandes sculptures à l'image des grands caciques qu'elles représentent.

Les statues présentent la plupart du temps des têtes énormes, en comparaison avec leurs petites jambes. Elles prennent la forme de figures d'animaux et même de centaures à tête d'animaux et à corps d'homme.

Après avoir traversé une forêt de bambous où niche une immense grenouille taillée dans le roc, le visiteur atteint une grande sculpture dénommée Fuente de Lavapatas. Il s'agit d'un labyrinthe complexe de canaux en forme de serpents, de lézards et de salamandres à figures humaines, sculptés dans le roc et traversés par des eaux dont le cours forme trois piscines de dimension et de hauteur différentes. C'est un exemple extraordinaire du haut degré de raffinement qu'avait atteint cette civilisation dans l'utilisation des éléments naturels qui l'entouraient : ici, la pierre et l'eau d'un rapide. Les archéologues présument que le site était utilisé pour les bains sacrés et certaines cérémonies religieuses.

Le Cerro de Lavapatas est une colline dont le plateau d'une cinquantaine de mètres de diamètre surplombe tout le paysage. Le site semble avoir été utilisé pour l'enterrement des enfants. On y admire ici aussi des statues, mais il semble qu'il s'agissait avant tout d'un point stratégique qui permettait d'avoir une vue sur tout le paysage environnant de façon à mieux se défendre ou à planifier les attaques contre les envahisseurs. Même aujourd'hui, ce site n'a pas changé et, en effet, la vue est magnifique et ininterrompue à des kilomètres à la ronde.

Le dernier site, le Bosque de las Estatuas, est une installation récente. Il s'agit d'un jardin de 35 monuments monolithes sous les arbres, classés par l'anthropologue Reichel-Dolmatoff selon leur caractère archaïque, naturaliste, expressionniste ou abstrait. Ces statues ont été découvertes par les paysans dans les champs environnants. Elles ont été transportées ici pour une meilleure chance de conservation sous surveillance, l'une d'entre elles portant déjà les stigmates de graffitis récents. Il s'agit de l'œuvre d'un artiste "contemporain" travaillant à la peinture en aérosol, ineffaçable sans risquer d'endommager la statue elle-même, sculptée dans un matériau tendre et poreux.

La disproportion de la tête en comparaison avec la schématisation du bas du corps signifie que les indigènes de l'époque accordaient plus d'importance à l'intelligence qu'au physique.

Dans les environs, on peut visiter une quinzaine de ces sites dont certains à plus de 35 km de San Agustín, ceux mentionnées plus haut étant les plus intéressants et les plus rapprochés.

Il y a plus de 500 statues exposées dans les environs immédiats de San Augustín, en dehors du Parque Arqueológico qui en contient 130, et notamment à El Tablón, à La Pelota, à La Chaquira, à Obando y El Jabón, aux Altos de las Piedras, à l'Alto de las Guacas y El Mortiño, à Quebradillas, à Quichana, à La Parada et à Naranjos y La Vaderos. On peut s'y rendre seul, si l'on est disposé à faire quelques kilomètres à pied, mais il est possible de louer des chevaux à San Agustín même.

Tierradentro

À partir de San Agustín, on peut rejoindre facilement Tierradentro par la route, un trajet qui durera au moins 7 heures. Ici cependant, qui dit "facile" ne dit pas nécessairement "confortable". En effet, la route, aussi en terre, n'est pas meilleure que celle qui relie Popayán et San Agustín. Elle serpente dans les Andes, ce qui vaut des paysages tantôt de ravins escarpés, tantôt de pics altiers, tantôt de ríos aux eaux tumultueuses se terminant en cascade, le tout à couper le souffle à tous les virages, à toutes les montées, à toutes les descentes...

Tierradentro est une région qui tire son nom de la difficulté de s'y rendre. Non seulement à cause de sa géographie fortement accidentée, mais aussi à cause de la ténacité des indigènes qui y habitaient à ne pas vouloir laisser envahir leur territoire par les Espagnols. Ces derniers l'ont donc dénommée La Tierra Adentro, (littéralement "la terre lointaine ou intérieure", c'est-à-dire difficile d'accès), dès les premières tentatives de pénétration. Tierradentro est située à quelque 110 km au nord-est de Popayán. Il est aussi possible d'atteindre Tierradentro en autocar à partir du Terminal de Transportes de Popayán, mais il faut aussi s'attendre à un voyage inconfortable.

Aujourd'hui, on y trouve la petite localité de San Andrés de Pisimbalá, avec moins de1 000 habitants, sise dans une vallée entourée de montagnes qui renferment les tombeaux précolombiens les plus spectaculaires du continent.

Outre que la petite communauté de San Andrés de Pisimbalá soit une véritable carte postale perdue dans les Andes, on se rend à Tierradentro, dans le département de Cauca, surtout pour ses hypogées funéraires dissimulés un peu partout dans la montagne. Avec San Agustín, Tierradentro est l'une des plus importantes découvertes archéologiques précolombiennes de ce siècle. On trouve des tombes de différentes grandeurs, qualités et profondeurs en groupe de 10 à 60 ou plus sur une dizaine de sites.

Le Parque Arqueológico de Tierradentro situé à l'entrée du pueblo San Andrés de Pisimbala propose quatre sites archéologiques dans les montagnes environnantes : Segovia, El Duende, Alto de San Andrés et El Aguacate. Ici la visite se fait à cheval à partir du musée de Tierradentro. Le guide, Jaime Calderón, a déjà sellé les montures et le départ se fait rapidement vers 13h. Les chevaux grimpent vaillamment dans des sentiers abrupts, avec d'un côté la montagne et de l'autre le précipice. Le paysage est... surnaturel. Les bêtes sont habituées et nul besoin d'être un expert pour en profiter. Elles choisissent elles-mêmes le meilleur chemin à suivre et c'est tant mieux. Ça permet au fier cavalier de prendre des photos. Au bout d'une vingtaine de minutes, le guide attache les rênes et l'on pénètre dans une enceinte entourée d'une clôture en bois : Segovia. On y trouve 28 tombes creusées et très bien conservées. Pour accéder à l'une ou l'autre, il faut emprunter un escalier en colimaçon à chacune des tombes, taillé grossièrement par les sculpteurs de l'époque, à même les pierres, et qui mène à l'entrée d'un sépulcre. Certaines tombes sont éclairés tandis que d'autres nécessitent le faisceau lumineux de la lampe de poche du guide. Pour prévenir la détérioration, il est interdit d'utiliser le flash de l'appareil photo, cette forte lumière pouvant affecter à long terme les couleurs de certains cénotaphes dont la décoration est souvent fort complexe.

Plusieurs tombes sont à quelques mètres de profondeur, alors que d'autres atteignent jusqu'à 7 m. Ce sont des chambres funéraires – des ossuaires – dont les plus imposantes mesurent 3 m de hauteur sur 8 m de largeur et 5 m de profondeur. Elles présentent cinq ou six niches supportées par deux ou trois colonnes. Certaines, plus spectaculaires, proposent des motifs géométriques rouges, blancs et noirs, peints avec des couleurs indélébiles que les Indiens extrayaient des plantes et des baies d'arbres ou d'arbustes indigènes. Le guide en fera d'ailleurs la démonstration plus tard en pulvérisant le fruit d'un de ces arbres, en évitant de tacher ses vêtements puisque, effectivement, on parvient difficilement à en effacer la trace sur les doigts. On voit aussi des dessins anthropomorphes, des hiéroglyphes et des pétroglyphes représentant des animaux, des humains ou des dieux mythiques dont la signification est encore aujourd'hui inconnue. Mais on peut tout de même imaginer que ces Indiens décédés il y a plus de trois millénaires transmettent un message d'espoir – communication intemporelle – et suggérant que la vie continue. C'est vrai puisque nous sommes là, le guide et moi, bien vivants, à en admirer les vestiges.

Dans ces sarcophages, on entreposait les restes des défunts dans des urnes funéraires et, selon leur niveau hiérarchique, avec leurs armes et des objets d'utilité courante qui pouvaient servir dans l'autre vie. Aujourd'hui, ces urnes et d'autres vestiges ont été transportés dans différents musées pour une meilleure conservation et, notamment, au musée de Tierradentro, à l'entrée du Parque Arqueológico, où ils sont exposés.

À la tombe numéro 8, on gardera un instant de silence à la mémoire de l'archéologue qui l'a découverte, Alvaro Chávez Mendoza. Le professeur Mendoza est mort à Bogotá en 1976, mais ses cendres reposent ici depuis 1994, dans une urne placée au fond de cette grotte, la plus profonde et la mieux décorée. Par ce geste, dont la volonté a été exprimée dans son testament, le professeur a voulu unir dans la mort ses propres contemporains à cette civilisation responsable de tant de merveilles qui a vécu des millénaires avant eux.

On enfourche de nouveau les montures pour une nouvelle escalade et atteindre El Duende, au bout d'une vingtaine de minutes, un site moins bien conservé mais toujours intéressant, à plus de 2 000 m d'altitude dans les Andes de plus en plus mystérieuses, les chevaux franchissant maintenant les nuages accrochés à leurs flancs. De ce plateau culminant, le panorama est assez unique puisque l'on voit non seulement le point de départ, à l'entrée du Parque Arqueológico tout au fond de la vallée, mais aussi, à des kilomètres à la ronde, d'autres sites de sépulture sur d'autres flancs de montagne.

San Andrés de Pisimbalá

Plus tard, on s'arrête à la terrasse d'une petite tienda à l'arrière de l'église, au cœur du pueblo de San Andrés de Pisimbalá, dont les maisons sont disposées de part et d'autre d'une seule avenue en terre, la Carretera Principale, qui s'étend sur moins de 2 km de longueur, où l'on circule surtout à dos de cheval. Un calme mystique s'installe lentement à la tombée du jour en même temps qu'une brume légère qui, comme un halo, confère à l'ensemble du paysage une dignité tout extatique. Ce qui n'empêche pas de commander de la bière froide que l'on déguste à la petite terrasse de la tienda qui ne comprend qu'une table.

La petite Iglesia de San Andrés de Pisimbalá, à toit de chaume et à murs blanchis à la chaux, est une vraie merveille construite il y a plus de 350 ans. Un minuscule clocher d’à peine 2 m la surplombe, couronné lui aussi de son toit de chaume.

À droite, l'Iglesia de San Andrés de Pisimbalá, à toit de chaume. Sur le parvis sèchent des graines de café.

L'intérieur dénudé présente un plafond soutenu par des poutres en bois dégrossies à la machette. Le mobilier a aussi été taillé à la machette dès les premiers temps de la colonie, alors que la statue de San Andrés, grossièrement sculptée par un artiste inconnu, repose sur un socle de bois avec des poignées permettant à des porteurs de la promener à travers le village lors de fêtes religieuses. Pour la visiter, il suffit de demander les clés à une vieille dame qui fait sécher son café sur le parvis, à gauche.

Sur une tablette de la tienda où l'on a acheté de la bière, une bouteille de vin blanc français Barton & Gestier trône, empoussiérée, seule, perdue au sommet des Andes. On la dégustera, rafraîchie au congélateur chez le guide, dont la maison, comme à peu près toutes les autres à Tierradentro, est transformée en restaurant, selon les besoins des visiteurs, celui de l'hôtel n'étant pas toujours ouvert. Le guide, Jaime Calderón Devia estime le coût de ses services à 20 000 pesos par personne pour une excursion à cheval de plus de 4 heures qui mène aux principaux sites. Malheureusement, il ne parle qu'espagnol, mais ses explications exhaustives permettent de saisir l'atmosphère surréaliste des lieux sans difficulté, d'autant plus que les termes qu'il utilise sont facilement compréhensibles en français et en anglais.

À Tierradentro, il y a aussi d'autres sites à visiter que ceux préalablement décrits et notamment El Tablón (même nom mais différent de celui de San Agustín), Alto de San Andrés et El Aguacate. On peut s'y rendre à pied, mais on peut aussi louer des chevaux avec un guide.

SOURCE : Les guides ULYSSE/COLOMBIE

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