PREMIÈRES NATIONS

DÉCOUVERTE

LA COLOMBIE D'AUJOURD'HUI

La préhistoire

Les anthropologues et les ethnologues demeurent encore perplexes aujourd'hui devant les difficultés à démêler l'imbroglio tissé tant par les innombrables légendes que par les brides de vie authentique des anciennes civilisations de l'Amérique du Sud, retransmises de bouche à oreille et de génération en génération. Ils sont incapables d'en recenser adéquatement la population tellement l'information manque, et ils en sont réduits à l'estimation raisonnable. Les conquistadores ayant fondu ou détruit un grand nombre de vestiges et les huaqueros, pilleurs de tombes, continuant dans cette veine, ils ne peuvent baser leur analyse que sur de rares morceaux d'architecture, sur une quantité minimale de poteries, sur certaines pièces de textile, sur quelques bijoux et sur certaines pièces d'or, aussi en infime quantité. En faisant même une lecture critique des récits écrits par des chroniqueurs de l'époque et par certains espagnols plus érudits, ils sont tout au plus en mesure de tracer quelques lignes grossières des populations amérindiennes qui peuplèrent la Colombie précolombienne.

Des migrants d'Asie

Comme il n'y a aucune trace d'aborigènes ni en Amérique du Nord ni en Amérique du Sud, les spécialistes en ont conclu logiquement que le Nouveau Monde avait été peuplé à l’occasion de lointaines mais massives migrations. Selon leurs déductions, les premières peuplades à pénétrer le continent sont des nomades originaires de l'Asie du nord-est. En petites tribus, ils franchissent l’Europe du Nord et traversent l'Alaska, il y a environ 50 000 ans, soit en empruntant le détroit de Béring ou encore, en passant par les îles Aléoutiennes qui forment un pont continu et solide en période de glaciation.

Ces tribus vivent en groupes isolés et suivent les troupeaux de rennes, de cerfs et de bisons sauvages pour subvenir à leurs besoins, sans savoir où elles vont ni où elles sont. Encore aujourd'hui d'ailleurs, les Lapons, nomades des steppes du nord de la Suède, de la péninsule de Kola au nord de la Finlande et de la Sibérie se déplacent toujours de cette façon, au rythme des troupeaux de rennes en quête de pâturages, et dont ils prélèvent leurs besoins en viande, en lait, en fourrure et en transport, les animaux étant semi-domestiqués.

Des Guambianos, dans les hauteurs de Silvia, près de Popayán.

Les premières tribus paléolithiques avancent sur ces nouveaux territoires, nues et faiblement armées de massues de pierre taillées grossièrement qu'elles utilisent à la chasse et comme outil de construction. En plus des troupeaux de rennes, elles suivent les mammouths et autres mastodontes aujourd'hui disparus. Ces gros animaux n'ont en effet aucune difficulté à repérer les points d'eau et les pistes qui y mènent. Tout en utilisant les espèces grégaires comme garde-manger, elles envahissent lentement tout l'hémisphère nord, pénètrent sur l'isthme central pour atteindre finalement la partie sud du continent qu'elles peuplent jusqu'à la terre de feu. Probablement à cause de l'extrême chaleur du climat, du sol accidenté, de la forêt tropicale dense et humide et de l'absence de pâturages adéquats dans certaines régions, les grands troupeaux de ruminants n'entrent jamais au Mexique, terminant leur propre migration dans les plaines luxuriantes du sud des États-Unis.

La dernière grande glaciation s'achevant quelque dix ou 8 000 ans av. J.-C., le passage solidifié entre l'Europe du Nord et l'Amérique fond rapidement au soleil. Il faut attendre la construction de grands navires pour remettre les pieds sur le continent isolé et découvrir une population qui a non seulement survécu mais établi des civilisations originales et souvent sophistiquées. Elles auraient maîtrisé l'agriculture, le tissage, la céramique et l'orfèvrerie avant même certaines nations du vieux monde. Cependant, des navigateurs en pirogues à balanciers et colonisateurs d'îles du Pacifique auraient pu rejoindre les côtes de l'Amérique en provenance du sud-est asiatique, et apporter un souffle nouveau aux peuplades dorénavant indigènes de ces territoires. Plusieurs légendes indiennes font état de géants venus de l'ouest dans des embarcations tressées en joncs. Ce qui expliquerait par exemple la connaissance de certaines de ces techniques et peut-être aussi de l'utilisation de l'arc et des flèches comme arme, en complément de la massue paléolithique d'origine, ou même certaines techniques de construction de pirogues.

Les camélidés (lamas, alpagas, vigognes et guanacos) sont présents dans les Andes, notamment au Pérou, et ils permettent l'élaboration d'une vie pastorale et donc plus sédentaire. Mais il faut attendre la conquête pour voir arriver le cheval, l'âne, le porc et partant, l'établissement d'un cheptel de fermes. Pour la plupart nomades donc, les premiers habitants de l'hémisphère sud ont de ce fait laissé bien peu de traces de leur mode de vie. L'errance n'autorise pas, à l'époque, la mise en valeur des choses de l'esprit comme l'écriture ou la peinture que d'autres peuples sédentaires ont déjà développé en Europe. Comme exemple, les peintures rupestres découvertes dans les grottes d'Altamira en Espagne, qui datent de 30 000 ans av. J.-C., et qui dépeignent avec un réalisme étonnant la vie des primitifs. Cependant, on fabrique déjà de la poterie dans le sud de la Colombie, quelque 4 000 ans av. J.-C., et certains objets retrouvés lors de fouilles archéologiques présentent des similitudes troublantes avec ceux en usage chez les anciennes civilisations chinoises. De quoi semer encore plus la perplexité chez les chercheurs. À San Agustín par exemple, on a retrouvé des monuments funéraires et des monolithes gigantesques taillés dans la pierre datant de plus de 3 000 av. J.-C. et qui présentent des similitudes avec les statues mégalithiques de l'île de Pâques dans le Pacifique, appartenant au Chili, et située à quelque 900 km des côtes.

Relativement à la toponymie, les archéologues et les historiens ont souvent prêté, faute de mieux, les noms des sites archéologiques d’Amérique du Sud aux tribus qui les habitaient. À titre d'exemple, les Indiens sanagustíns dominaient la région de San Agustín au Sud de la Colombie. La ville principale de la civilisation des Mochicas au Pérou était Moché et les artisans nascas ont pour capitale la ville de Nasca. Mais c'est à Nicaragua, un cacique (chef ou roi) d'une intelligence remarquable selon les Espagnols, que l'on doit le nom de ce pays.

Les Premières nations colombiennes

Contrairement aux autres grandes civilisations qui se partagent ou dominent de vastes territoires, les premiers habitants de Colombie sont constitués de petites tribus farouches, méfiantes, qui se développent sur des territoires plutôt restreints. Elles pénètrent par deux chemins : certaines longent la côte des Caraïbes pour s'y implanter et d'autres franchissent les Andes pour s'installer dans les plaines basses du río Orinoco et du río Amazonas. Ce sont des Arhuacos et des Caraïbes, ancêtres des Taironas (régions de la Sierra Nevada) et des Sinús (région de Cartagena), des Indiens guerriers et hostiles qui, quelques millénaires plus tard, coloniseront les îles de la mer des Caraïbes. D'autres encore se faufilent le long de la côte du Pacifique pour installer des villages dans des oasis près des rivières. Elles colonisent ainsi l'ouest de la Colombie avant de s’établir en Équateur, au Pérou, au Chili et jusqu'à l'extrême sud de la Terre de feu, en Argentine.

Le relief du pays contribue grandement à l'isolement des premiers Colombiens qui ne savent pas créer un courant culturel et politique unique comme les Incas au Pérou, les Aztèques au Mexique et les Mayas en Amérique centrale. Cependant, ils sont issus de deux grandes familles, et ils parlent à peu près la même langue, le quechua, la langue la plus commune des tribus de la cordillère des Andes, ou des dialectes dérivés de celle-ci. À l'arrivée des Espagnols ce sont encore les tribus issues de ces deux cultures qui dominent le territoire colombien.

Le relief du pays contribue grandement à l'isolement des premiers Colombiens. Ici, vue panoramique d'un village des Andes sur les haurteurs de Silvia

Il faut aussi reconnaître que la majorité des premiers habitants du nouveau continent étaient parfaitement autonomes au moment de la conquête, sauf pour certaines tribus isolées. Ils sont déjà des orfèvres, des céramistes, des potiers, des hydrauliciens et des architectes de grand talent. Ils n'ont certes pas besoin de l'enseignement des missionnaires pour cultiver le coton, le maïs, la tomate, les pommes de terre, le cacao, le tabac, la calebasse, le piment, les pois, les haricots, l'arachide, l'ananas, la goyave et autres produits qui, inconnus en Europe pour la plupart ou mal utilisés, y font encore aujourd'hui la renommée de plusieurs pays : la tomate en l'Italie, la pomme de terre en Belgique et le cacao en Suisse, entre autres. Leur science de la botanique, de la zoologie (Moctezuma au Mexique possède son propre zoo) et de la chirurgie sont plus avancées que celles des Européens. De plus, leur pharmacopée contient des excitants, des anesthésiques, des purgatifs, des antihémorragiques, des vulnéraires et des remèdes comme la quinine par exemple. En outre, au Mexique plus précisément, les archéologues ont découvert les vestiges de jeux de pelote, un sport sacré pratiqué par la plupart des cultures précolombiennes.

Si la majorité des tribus indiennes ne savent ni lire ni écrire – les Mayas connaissent l'écriture et possède un calendrier qui compte une trentaine de jours par lunaison –, elles connaissent cependant les mathématiques puisqu'elles se servent de monnaies d'échange. D'autre part, elles construisent depuis des siècles déjà des palais, des monuments, des temples et des édifices publics en maçonnerie solide et de dimensions qui forcent l'admiration des Espagnols. Et si ces derniers sont souvent confrontés à la famine, ce n’est pas faute de ressources. Mais les Indiens refusent de les nourrir, révoltés qu'ils sont du comportement aberrant des dieux sauvages et meurtriers venus de l'au-delà des mers.

Les Taironas

Les Arhuacos sont les ancêtres des Taironas. Ce sont des Indiens très fiers qui se dérobent aux influences des conquistadores et de leur civilisation en fuyant dans les hautes terres. Les Arhuacos, les Koguis et les Wahuús d'aujourd'hui en sont les descendants directs. Si, au début, "Tairona" désigne une seule et unique tribu, ce terme est maintenant employé pour désigner tout le peuple qui vit dans la Sierra Nevada – alors que certains préfèrent la dénomination moins courante de "Kogui". Aujourd'hui plus perméable à la civilisation que leurs ancêtres, ils vivent tout de même encore retirés. Ils pratiquent surtout l'élevage et l'agriculture.

Pueblito, un village tairona dans la Sierra Nevada de Santa Marta.

Les archéologues à la recherche de cette civilisation ont trouvé des vestiges de rues et d'esplanades dans des cités hautement sophistiquées, réunies par un réseau routier en pierre de près de 500 km. Ils ont retrouvé des escaliers en dalles de pierre ainsi que des blocs massifs, toujours en pierre, utilisés comme fondation de maisons ou d'édifices religieux ou publics. Les Taironas avaient mis au point une technique assez sophistiquée pour niveler la montagne en sorte de terrasses superposées. Ils y construisaient par la suite des cités avec des temples et des maisons et y installaient des systèmes complexes d'aqueduc.

Ils travaillaient aussi la poterie tandis que l'agriculture, la pêche et l'extraction du sel des marais salants des cités côtières constituaient leur principale source de subsistance. Mais ils pratiquaient aussi le commerce d'une foule d'autres objets de fabrication artisanale dont des pièces d'orfèvrerie. Les Taironas étaient monogames et leurs femmes jouissaient d'un statut plus élevé que chez la majorité des autres tribus. Leur civilisation était composée de plusieurs sociétés réparties sur tout un petit territoire en comparaison aux autres cultures.

Comme la Sierra Nevada de Santa Marta ne fournit par d'or, les Taironas devaient l'importer. Probablement qu'ils en faisaient le commerce avec les Quimbayás de la vallée du río Cauca et peut-être aussi avec les tribus du Panamá qui sont leurs voisins naturels, indifférents qu'ils étaient aux frontières d'aujourd'hui. Tairona signifie orfèvre, en langue quechua, une technique fortement répandue à travers toutes les régions andines et dont les Taironas avaient fait une spécialité.

Aujourd'hui, en accord avec la nature et l'esprit de leurs ancêtres, les Taironas ont décidé de s'ouvrir au monde. Ils permettent désormais aux étrangers de visiter leur territoire. Ainsi, les touristes sont dorénavant accueillis à Pueblito et Ciudad Perdida, la Cité perdue de la Sierra Nevada de Santa Marta, dans une zone difficile à traverser et que l'on nomme El Infierno, l'Enfer. Cette ouverture sur le monde est relativement récente puisque Ciudad Perdida n'a été connue de la "civilisation" qu'en 1975, tant les Taironas demeuraient hostiles à la présence des Blancs chez eux, fussent-ils archéologues.

Les Chibchas

Si les Espagnols ont mis tant d'acharnement à conquérir l'Amérique du Sud, c'est qu'ils cherchaient avec avidité à s'accaparer des richesses qui s'y trouvaient. Ont-ils été bernés par la malice indigène – encore très présente aujourd'hui chez les Colombiens – qui consiste à profiter de l'ignorance d'autrui pour mieux s’en moquer? Toujours est-il que si les conquistadores ont pillé honteusement toutes les civilisations, ils ont toujours été laissés sur leur faim. Car les Indiens leur faisaient entrevoir des richesses cent et mille fois plus fabuleuses que celles qu'ils ont réussi à accaparer. Pour éloigner ces barbares indésirables et parasites de leurs villages, ils racontaient obligeamment leurs légendes – ou n'importe quoi – qui rendaient les Espagnols complètement fous de convoitise.

Groupes de tribus organisées aussi en petits royaumes, les Chibchas (surnommés Muiscas par les Espagnols) étaient comme bien d'autres tribus des orfèvres et des lapidaires. Au moment de la conquête et ce, depuis quelque deux siècles av. J.-C., ils occupaient la savane de Bogotá au centre de la Colombie, c'est-à-dire tout le haut plateau de la cordillère Orientale. Leur civilisation jouissait de la protection offerte par d'immenses forteresses quasi infranchissables – les montagnes – et par des plaines toutes aussi démesurées qui permettaient d'apercevoir et d'identifier l'ennemi de très loin. Bien que leur niveau de développement ne les autorise pas à s'attaquer à la construction en pierre, ils vivent tout de même dans des palais, des édifices et des maisons en bois dont la splendeur émerveille les Espagnols à leur arrivée. Tellement que ces derniers n'hésitent pas à nommer l'endroit "Valle de los Alcazares" (la vallée des châteaux). Leurs maisons, entre autres, sont de vrais petit bijoux qui témoignent d'une qualité de vie souvent supérieure à celle des Espagnols qui les découvrent : elles sont solides, érigées avec soins et aménagées fort agréablement. Certaines ont des tapis et des meubles. Les Chibchas portent des vêtements de coton aux riches couleurs, et de nombreux bijoux d'or et de pierres précieuses. Ils ne connaissent pas l’écriture mais possèdent une monnaie d'échange : ils avaient même établi un système de crédit qui doublait une dette non payée à chaque pleine lune. Ils savaient manier les métaux d'une façon exceptionnelle. Ils créaient ainsi de nombreux objets coulés dans des formes en argile sculptée.

À l'instar des Taironas, ils ne possèdent pas non plus de mine d'or et ils doivent importer les pépites de leurs voisins, les Quimbayás, car ils sont aussi des orfèvres hors du commun. Comme les Quimbayás, ils utilisaient le martelage, le tréfilage, le rivetage et l'incrustation. Mais ils connaissaient en plus la technique de la cire perdue et celle du filigrane, un entrelacement de fils de métal retenus ensemble par une soudure secrète dont le procédé demeure encore aujourd'hui une énigme.

En soufflant sur un brasier de charbon de bois à l'aide de sarbacanes, ils réussissaient à élever la température de leurs fours de façon à mélanger l'or pur et souple à d'autres métaux comme l'argent et le cuivre dont ils faisaient des alliages résistants. Tellement qu'ils trompent souvent la sagacité des Espagnols qui les croient d'or pur. Ils créaient ainsi de nombreux bijoux dont des pendentifs, des boucles d'oreilles, des amulettes et des ornements de nez aux formes multiples.

En outre, ils exploitaient des mines de sel et d'émeraudes. Ils connaissaient parfaitement l'agriculture et cultivaient la pomme de terre alors que le petit gibier était abondant et diversifié. Ils maîtrisaient la poterie, le tissage et la teinture d'étoffes de coton. Même si leurs rois Bogotá et Tunja étaient pratiquement toujours en guerre à l'arrivée des Espagnols, ils n'étaient pas vraiment guerriers et ils unissaient souvent leur force contre leurs ennemis héréditaires et anthropophages : les Panches. On croit que les Paez d'aujourd'hui sont les descendants directs des Chibchas.

Le rituel propitiatoire de "l'homme doré" des Chibchas est encore aujourd'hui bien ancré dans l'imagination populaire. Qui en effet n'a pas entendu parlé de l'El Dorado, la légende d'un cacique chibcha? Et les légendes ne sont-elles pas l'interprétation onirique d'une réalité? Pour leur part, les conquistadores n'y ont vu que ce qu'ils voulaient bien croire. Beaucoup y ont payé de leur vie.

La légende d'El Dorado

Près des rives du magnifique lac Guatavita à une cinquantaine de kilomètres de Bogotá, vivait le très pacifique cacique Guatavita avec, toujours selon la légende, son harem impressionnant de femmes d'une beauté peu commune. Un jour sa préférée, dont la beauté surclassait toutes les autres, le trompa avec un quelconque serviteur, faisant non seulement ombrage à sa dignité royale mais aussi à son orgueil de mâle (manifestement, le machisme en Colombie ne date pas d'hier). Il fit exécuter sur-le-champ le "lèse-majesté" avec toute la cruauté due à son crime, et dénonça publiquement les cornes que lui avait fait porter sa dulcinée.

Du jour au lendemain, cette dernière se vit insultée et traitée en paria par un peuple en délire qui manifesta toute sa loyauté à son cacique. Sans le moindre égard pour la jeune femme et ses splendides attraits. Acculée au désespoir par tant d'ignominie, elle se jeta dans le lac avec son enfant. Le cacique en resta bouche bée. Il était bien déterminé à la punir sévèrement, mais il n'avait jamais imaginé qu'elle puisse disparaître de façon aussi douloureuse... pour lui.

Il ordonna qu'on fouille le lac à leur recherche. Un grand prêtre plongea au fond des eaux, mais revint bredouille. Il informa cependant le cacique que sa femme et son fils étaient bel et bien vivants. La belle était heureuse de vivre désormais au fond du lac dans l'immense palais englouti d'un démon qui la respectait. Il n'était plus question de revenir sur terre subir les injustices auxquelles Guatavita l'avait condamné. "Je veux revoir ma femme et mon enfant", s'écria le cacique qui ordonna aussitôt au grand prêtre de retourner dans les abysses. Ce dernier s'exécuta. Il refit surface quelques instants plus tard portant dans ses bras le corps inerte de l'enfant que le démon avait tué. Avant sa mort, il lui avait même arraché les yeux pour montrer aux humains l'ampleur de son mécontentement.

L'une des plus extraordinaires pièces d'orfèvrerie au monde, le radeau de La Balsa Muisca, qui raconte la légende d'El Dorado. Cette pièce se trouve en exposition au Museo del Oro du Banco de la República de Santafé de Bogotá.

Pour calmer le démon, Guatavita décida alors de le combler de cadeaux. Il fit organiser de grandioses cérémonies et obligea le peuple à prier pour le retour de sa belle. Une fois par mois au lever du jour, accompagné des dignitaires de sa cour, de musiciens et de pèlerins, le cacique embarquait sur un radeau plein d'or et d'émeraudes qui l'emmenait au milieu de la lagune. Des serviteurs enduisaient alors son corps dénudé d'une résine de térébinthe gluante que l'on aspergeait d'une fine poudre d'or. Puis, le cacique entonnait un douloureux mais puissant miséréré que les flots matinaux portaient jusque dans le cœur du peuple agenouillé sur le rivage et qui le reprenait en chœur. Sous les premières lueurs de l'aube, son corps plein d'or rivalisait de splendeur avec le soleil levant, alors qu'il lançait à l'eau, à pleine poignée, tout le chargement d'émeraudes, de pièces et de bijoux votifs en or afin que le démon consentit à lui rendre sa bien-aimée. Il se lavait ensuite dans les eaux du lac à l'aide d'une saponaire, de façon à ce que la poudre d'or de son corps aille recouvrir les murs du palais submergé.

Mais le démon refusa toujours de libérer la jeune femme qui ne voulait plus revenir sur terre non plus.

Avait-elle trouvé le véritable amour dans les bras du monstre marin? La légende ne le précise pas. Mais elle aura entraîné une véritable folie de l'or chez les conquistadores et les aventuriers de l'époque. En effet, les Indiens prétendaient que la coutume du bain d'or s'était perpétué de cacique en cacique depuis l'intronisation du successeur du malheureux amant éconduit et qu'elle subsistait encore au moment où ils la racontaient.

La lagune de Guatavita, où naquit la légende de l'El Dorado

Si les Espagnols ne trouvent jamais le trésor de Guatavita, ils pillent à profusion l'or chez les Chibchas et chez les autres tribus de la région. Et ils l'exportent à pleine armada de galions (grands navires de 600 tonneaux fortement armés, successeurs des caravelles) au royaume d'Espagne. Les bateaux sont cependant souvent attaqués par les pirates, entre autres, le corsaire Jean Fleury (Juan Florín pour les Espagnols) qui, sous les ordres de François 1er, est chargé de venger l'honneur de la France cavalièrement mise à l'écart lors du partage des colonies du sud. Quand les galions parviennent sans encombre à destination, l'or est transporté à la Tore del Oro, la Tour de l'or de Séville, qui existe encore aujourd'hui, pour être transformé en numéraire. Après l'indépendance de la Colombie, Simón Bolívar fera fondre lui aussi une partie du trésor indien pour faire frapper des pièces à son effigie.

Aujourd'hui, tous les bijoux et pièces d'or découverts sur les sites archéologiques sont systématiquement achetés par le gouvernement colombien au prix du cours de l'or pour être entreposés au Museo de Oro de Bogotá.

Bogotá, vue panoramique des hauteurs du Monserrate.

 

Les huaqueros acceptent sans difficulté de vendre au gouvernement l'or qu'ils récupèrent. Cependant, ils ne se préoccupent aucunement des autres pièces archéologiques parce qu'ils n'en connaissent ni la valeur marchande ni la valeur historique. Ces pièces sont automatiquement détruites. Systématiquement soustraites en tout cas à l'analyse des spécialistes.

La civilisation san agustín

L'un des principaux sites de civilisation précolombienne de toute l'Amérique du Sud est sans contredit San Agustín, au sud de la Colombie, où l'on a mis à jour de nombreux ouvrages en pierre et en terre cuite. On y a aussi découvert des tombeaux et des temples souterrains de même que des centaines de sculptures et de termes (statues sans membres) de formes humaines ou animales, taillées dans la roche tendre. On y a mis à jour d'immenses stèles monolithiques anthropomorphes taillées à même la pierre volcanique. Les constructions les plus intéressantes restent toutefois les grands tumulus mesurant plus de 4 m de hauteur sur 20 m à 25 m de diamètres. On croit qu'ils accueillaient des temples souterrains cachés à la vue des intrus par d'immenses dalles de pierre.

L'un des principaux sites de civilisation précolombienne de toute l'Amérique du Sud est sans contredit San Agustín, au sud de la Colombie, où l'on a mis à jour de nombreux ouvrages en pierre et en terre cuite.

Les Quimbayás

Mais la civilisation des Quimbayás demeure sans contredit la plus curieuse de Colombie. Les Quimbayás vivaient sur les territoires de ce qui est aujourd'hui le département d'Antioquia, le long du río Cauca à l'ouest de la Colombie. Ce sont les tombes qui ont révélé leur présence aux archéologues. De deux types différents, les premières sont aménagées en surface tandis que les autres se trouvent à quelque 10 m de profondeur. Les défunts y étaient entreposés à même le sol, et entourés d'un mobilier funéraire composé d'ustensiles de céramique et de pierre ainsi que de nombreux colliers et autres bijoux en or.

Les Quimbayás excellaient surtout dans le travail des métaux. Leur technique du travail de l'or, selon toute vraisemblance, aurait été mise au point quelque 500 ans av. J.-C. Déjà, ils utilisaient avec un art consommé le martelage, le tréfilage, le rivetage et l'incrustation. En effet, il y a beaucoup d'or dans les montagnes du centre et du sud du pays. Les Quimbayás ne creusaient pas de mines car ils ne savaient pas concasser la pierre. Ils ne possédaient pas non plus de hauts fourneaux. Mais ils sont des orpailleurs habiles sachant parfaitement filtrer l'or des sédiments alluviaux des ríos et des ruisseaux. Ils travaillaient à la batée, sorte de récipient destiné à laver les sables aurifères afin d'en recueillir les pépites.

Les Quimbayás étaient polygames et les nombreuses épouses d'un homme témoignaient de sa prospérité et du degré d'influence qu'il exerçait au sein de sa communauté.

Les Motilones

Les Motilones, pour leur part, seraient descendant des Caraïbes : leur langue s'y apparente. Ils ont longtemps résisté à la civilisation et, à l'instar de nombreuses autres tribus indiennes, ils ont dû aussi affronter non sans inquiétude l'arrivée du néo-colonialisme. Ils se sont refoulés dans les montagnes et, encore aujourd'hui, ils vivent dans les endroits les plus reculés et les plus hauts de la Sierra Nevada de Santa Marta.

L'antithèse autochtone

Aujourd'hui, plusieurs Indiens de la cordillère des Andes vivent toujours selon les traditions ancestrales, alors que certaines tribus demeurent encore ignorées de toute civilisation. Capables de voyager longtemps sans se fatiguer en mastiquant la feuille de coca avec le mambe, ils sont en général paisibles et conservent une attitude prudente devant les Blancs. Car leur philosophie, le sens de la vie qui leur est propre, a toujours constitué et constituera toujours une vision radicalement opposée à celle de ces derniers, plus particulièrement en Amérique du Sud où certaines tribus demeurent encore aujourd’hui inconnues des Blancs.

Le pouvoir indien

L'Organisation nationale des Indigènes de Colombie (ONIC) lutte aujourd'hui pour la défense des droits des Indiens, confrontés de plus en plus aux réclamations des terratenientes (gros propriétaires terriens) et des petits paysans qui accaparent leurs terres. Jusqu'en 1961 avec la réforme agraire, une seule loi régissait les Indiens, et celle-ci datait de 1890. Elle prévoyait la mise sur pied de réserves qui appartenaient à l'État, marginalisant ainsi les Indiens. Avec la réforme de 1961, les réserves disparaissent pour être remplacées par des resguardos, des territoires redonnés cette fois en collectivité aux Premières nations. Elles y détiennent leur propre autorité administrative. Par suffrage universel, elles y élisent un conseil dirigé par un cacique qui fait le lien avec l'État et préside aux tribunaux de petites instances, les crimes majeurs demeurant toujours la responsabilité des juges colombiens.

Le port de Leticia, sur l'Amazonas, où l'avenir des Indiens n'est pas encore réglé.

Cependant, l'avenir des Indiens n'est pas réglé pour autant. En effet, toutes ces réformes, y compris la création d'un département des Affaires indiennes en 1960 et l'adoption en 1967 de la convention relative à la protection des Indigènes de l'Organisation internationale du travail, demeurent des démonstrations de bonne volonté de la part du gouvernement colombien. Les fonds prévus pour l'achat des territoires ne sont pas suffisants et les ministères impliqués se heurtent continuellement au refus de vendre des terratenientes dont les prétentions de grands seigneurs relèvent encore aujourd'hui du régime féodal.

C'est la raison pour laquelle les Paez ont mis sur pied en 1971 le premier conseil régional des Indiens du Cauca qui a causé un véritable malaise en Amérique latine. Le conseil a crée, entre autres, des écoles bilingues avec prépondérance en langue indienne, ce qui prouve leur détermination à faire respecter leur culture.

L’histoire

L’ÈRE PRÉCOLOMBIENNE

Le contexte

Il est impossible de comprendre la Colombie d'aujourd'hui sans connaître son histoire et partant, celle aussi de la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb en 1492. D'autant plus que le pays porte son nom... même s'il n'y a jamais mis les pieds. Outre la découverte de la Colombie (1499), cette grande aventure comporte aussi la conquête des autres pays de l'Amérique latine, autant celle du Venezuela (1498), du Panamá (1501), du Pérou (1532) et de l'Équateur (1533) qui ont déjà formé avec elle la Grande-Colombie, en 1819. On ne peut non plus oublier les États-Unis (1513), le Mexique (1519), la Terre de Feu (1520) et le Canada (1534), tous découverts dans la même période de temps, ces deux derniers territoires se situant aux antipodes du nouveau continent, qui s'étend d'un cercle polaire à l'autre, et qui couvre près de 5 000 km dans sa partie la plus large, et coure sur une longueur de quelque 20 000 km.

À cette époque, les cartographes devaient refaire le planisphère tous les jours. Il s'agit en effet du plus spectaculaire bouleversement que n'ait jamais connu l'humanité et qui, en moins de cinquante ans, a fait éclater les frontières connues pour doubler la surface du monde.

Essayons d'imaginer l'agitation que produirait la découverte d'une planète éloignée qui présenterait, à peu de chose près, la même superficie que la terre. En effet, en ces temps reculés, au crépuscule du Moyen Âge (395-1453), à communications et déplacements restreints, l'humanité s'est vue dotée d'un immense continent comprenant l'Amérique du Nord, l'Amérique centrale et l'Amérique du Sud et incluant les îles des Caraïbes. Éloignés certes, ces nouveaux territoires. D'une étonnante beauté aussi. Riches et peu peuplés. Mais surtout habités par des sauvages facilement manœuvrables, qui ne savent que faire de leur or ou qui n'en connaissent pas la valeur... à qui on déléguerait une bande de motards criminalisés à titre d'ambassadeurs. En effet, toutes les civilisations hautement évoluées (les Aztèques, les Mayas, les Incas, les Chibchas) qui régnaient sur ces terres depuis des millénaires ont, en effet, été décimées sinon exterminées en cette même courte période de temps, sans compter leurs branches vernaculaires. Elles ont été systématiquement trompées, volées, violées et finalement vaincus au cours de guerres injustifiées, à armes inégales, puis condamnées aux travaux forcés (mita). D’autre part, diverses pandémies nouvelles sont fraîchement importées d'Europe par les nouveaux arrivants, alors que les indigènes n'en sont aucunement immunisées : la variole, la rougeole, la grippe, le typhus, la diphtérie, en autres calamités. Délimitées par la géographie, par leurs besoins essentiels et par leurs propres conquêtes, leurs frontières ont été à tout jamais violées par les différents régimes des envahisseurs qui y ont implanté les leurs, en répondant à d'autres critères, à la mesure de leurs propres besoins et surtout de leur cupidité.

La conjoncture

En l'an de grâce1992 donc, les conquistadores envahissent le Nouveau Monde. Ils sont animés par trois objectifs principaux. En effet les riches contrées de l'Extrême-Orient, découvertes par Marco Polo en 1271, sont devenues inaccessibles par voie de terre. Les Turcs musulmans en ont bloqué les pistes caravanières en se rendant maître de Constantinople (anciennement Byzance, maintenant Istanbul) en 1453. Les marchands européens doivent maintenant trouver une voie navigable pour continuer leur commerce florissant avec ces pays exotiques que sont la Chine et le Japon. Les Portugais sont les premiers à s'engager à fond dans cette recherche. Ils tentent de contourner le sud de l'Afrique dont ils ne connaissent encore ni l'envergure ni les limites. Barthélemy Dias relève enfin le défi. En 1487, il navigue au large du Cap de Bonne-Espérance.

Deuxièmement, les guerres sévissent depuis longtemps en Europe et chacun des royaumes – la France, l'Angleterre, le Portugal, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne entre autres –, ont à cœur d'agrandir leur territoire respectif et d'y asservir de nouveaux sujets pour les convertir... en soldats.

Mais, les découvreurs souhaitent aussi porter à de nouveaux peuples la parole de l'Évangile, puisque toutes expéditions et conquêtes sont sanctionnées par la Sainte Église, ce qui permet de voler et de tuer l'infidèle sans le moindre remords "pour la plus grande gloire de Dieu". Même si la plupart des conquistadores répugnent de prime abord à utiliser le meurtre, ils n'hésitent jamais à y recourir lorsqu'il est question d'évangélisation des infidèles. Et, si l'on prétend encore aujourd'hui que les missionnaires - notamment les ordres mendiants, dont les franciscains, les dominicains, les augustiniens et autres jésuites –, ont beaucoup aidé les populations conquises en Afrique et au Nouveau Monde en leur apportant les connaissances acquises dans les monastères d'Europe, ils se sont plus souvent qu'autrement comportés comme de vulgaires soldats formés à l'école des croisades. Les Templiers (1119-1312), par exemple, avaient été un ordre de moines-banquiers chargés notamment de gérer le trésor du royaume en France. Mais ils avaient surtout été une puissance militaire mise sur pied et reconnue par le pape Honorius II, en 1128, dont les moines-soldats, à titre de chevaliers, avaient pour mission de protéger les croisés et les pèlerins qui se rendaient en Palestine. Mais il y eu aussi les Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem et les Chevaliers teutoniques qui, aussi moines-soldats, avaient la même mission. D’autre part, les jésuites, une "milice" du catholicisme fondée en 1540 par un Espagnol, Ignace de Loyola, ont toujours un "général" à leur tête.

Au cours des opérations au Nouveau Monde, le moindre roturier ou domestique, le moins gradé de la soldatesque et le plus humble moinillon peut accéder du jour au lendemain à la "noblesse". Il se voit, en effet, automatiquement gratifié d'une supériorité à laquelle sa modeste origine ne lui donne aucunement droit à l’époque. Il peut dorénavant vivre en aristocrate, en roitelet arrogant, logé et nourri par les serviteurs et les esclaves que la troupe est chargée d'assujettir, de réduire au rang d'animaux ou d'anéantir si besoin est. Il s’accapare de leur richesse alors que les femmes et les filles des peuples vaincus deviennent bien entendu ses concubines obligées, fussent-elles des princesses de haut rang, issues d'une civilisation hautement sophistiquée. Contrairement aux mœurs strictes qui régnaient en Espagne, les liaisons passagères, le concubinage et la polygamie avec les Indiennes s’installent rapidement au Nouveau Monde. À ce titre les femmes deviennent un butin aussi convoité que l’or. Si bien que, dès le premier retour de Colomb en 1493, la syphilis fait son apparition pour la première fois en Europe, et s’étend à travers le monde comme une véritable traînée de poudre.

Outre l'aventure, la gloire et la richesse qui les attendent au loin, la plupart des conquistadores désirent ardemment quitter le vieux continent ravagé par la famine, séquelle implacable de guerres interminables et ruineuses qui ne laissent pas le loisir de cultiver la terre. Également, de nombreuses épidémies consécutives dévastent la population dont la Grande Peste, la Peste noire et combien d'autres vicissitudes.

Le Portugal

Le Portugal est un pays naissant à l’époque. En effet, la Terra Portucalense, province romaine dans l’antiquité, habitée par les Ibères et les Celtes, naquit véritablement au milieu du XIIe siècle, alors qu’Alphonse Enriquez s’en proclame roi. C’est un pays tout de go éminemment dynamique, à cause surtout de son accès direct à la mer, la navigation constituant le moyen le plus facile de développement économique rapide.

L'Espagne

Le fanatisme religieux règne aussi en maître, en Espagne notamment, qui décrète la proscription des Juifs et la persécution des Maures. Sous l'autorité du dominicain Tomas de Torquemada, la Nouvelle Inquisition de 1477, quant à elle, s'attaque farouchement aux hérétiques, c'est-à-dire à tous ceux qui déplaisent à la royauté et au clergé. Rien pour dormir tranquille! Au cour de cette époque trouble, on affirme même que l'on peut traverser l'Espagne tout entière, la nuit, en s'orientant avec les cris et les gémissements des torturés et en se dirigeant à la lueur des bûchers où périssent en flamme les suppliciés, toujours "pour la plus grande gloire de Dieu". La famine sévissant, il arrive souvent qu'au petit matin on ne retrouve plus les cadavres des suppliciés de l'Inquisition.

L'Espagne est alors partagée entre les Catholiques et les Maures venus d'Afrique du Nord et qui y sont établis depuis l'année 711, alors qu’ils avaient pénétrés au sud de l’Espagne par le détroit de Gibraltar, nommé ainsi en l’honneur de leur chef berbère Djebel Tarik. Ils conquirent l’Espagne tout entière et furent stoppés à Moussais-la Bataille, près de Poitiers dans le sud-ouest de la France, par Charles Martel en 732. Pendant ce temps, les royaumes catholiques de Castille et d'Aragon sont continuellement en confrontation jusqu'à leur réunion, en 1479, à la suite du mariage de la reine Isabelle la Catholique et de Ferdinand d'Aragon. Cette liaison permet soudainement d'intensifier la guerre pour déloger les Maures de Grenade, ville jugée imprenable à l'époque, et qui jouit d'une culture hautement avancée. Les Maures baissent finalement pavillon le 2 janvier 1492 devant la nouvelle puissance des royaumes unis. L'Espagne renaît! Viva España!

Quelques années plus tard, en 1519, Charles Quint est élu empereur. Il devient le souverain le plus puissant d'Europe, alors qu'il règne sur l'Espagne et ses possessions outre-Atlantique. Il gouverne aussi l'Allemagne, la Belgique et la Hollande de même que l'Autriche reçue en héritage de son père. Il est aussi roi de Naples, de la Sicile et de la Sardaigne par l'héritage de sa mère. Il mènera quatre guerres contre la France qui dureront 30 ans et réussit même à faire prisonnier François 1er à Pavie en 1525. Charles Quint l'oblige alors à signer le traité de Madrid, le 13 janvier 1526, par lequel le roi de France lui cède la Bourgogne et renonce à sa suzeraineté sur l'Artois et la Picardie. À partir de ce moment, l'Espagne devient la plus grande puissance mondiale qui dominera le monde pendant près de 200 ans avec son "Invincible Armada".

La France

À cette époque, la France est dévastée par des guerres qui n'en finissent plus. L'ost, (l’armée, à l’époque féodale) la croix et la bannière sont levées tôt, en début du nouveau millénaire, en vue des huit croisades successives, en Terre Sainte, de 1095 à 1270, pour libérer la Palestine alors aux mains des musulmans. Puis, il y eut aussi la croisade des Albigeois contre les hérétiques dans le sud de la France, de 1207 à 1213, et dont l’Inquisition française est issue, instaurée par le pape Grégoire IX, en 1233. En même temps, la France se lance dans 300 ans de conflits quasi sans interruption dont deux guerres de Cent Ans contre l’Angleterre, de 1152 à 1259 et de 1337 à 1453, face à Henri Plantagenêt et ses descendants, entre autres Richard Cœur de Lion et Jean Sans Terre. Suivent la guerre d'Italie en 1494 et celle d'Espagne en 1516, puis les guerres civiles et religieuses qui se terminent par l'édit de Nantes signé par Henri IV en 1598.

Avec ces perturbations, il règne ici, comme dans les autres pays ouest-européens d’ailleurs, une curiosité équivoque envers les conquêtes espagnoles puisqu'on vient d'annoncer le retour fructueux du premier voyage de Colomb. Et ses récits font rapidement le tour de toutes les cours. Alors que les Anglais se montrent quelque peu indifférents, ayant pourtant la réputation d'être les plus habiles navigateurs en raison de leur situation géographique, Jacques Cartier quitte Saint-Malo à la recherche de nouveaux territoires "pour la plus grande gloire de la France". Cartier est un marin d'expérience qui a déjà pêché sur les bancs de Terre-Neuve, découverte en 1496 par Giovanni Cabotto, un navigateur de Gênes au service de L’Angleterre. Il est à la tête de deux bateaux et d'une expédition composée de 60 hommes, financée par François 1er. Cartier débarque au Canada en 1534 et il fonde la Nouvelle-France au nom du roi, en plantant une croix en bois d'une dizaine de mètres de hauteur à Gaspé, après avoir navigué dans une belle baie qu'il nomme Baie de la Chaleur.

L'ÈRE COLOMBIENNE

Christophe Colomb

Christophe Colomb, Cristoforo Colombo de son vrai nom italien et Cristóbal Colón pour les Espagnols qui l'ont accueilli. Qui n'a jamais entendu parler de ce marin, fils du tisserand génois Domenico Colombo et de Susanna Fontanarosa, elle-même fille de tisserand, et qui, en découvrant les Amériques, a donné aux Espagnols l'un des plus riches territoires au-delà des mers? Il a ouvert la voie aux conquistadores pour développer un empire deux fois plus grand que toute l'Europe entière. Et si nous vantons encore aujourd'hui le courage de Neil Armstrong et d'Eldwin Aldrin, les premiers hommes qui ont marché sur la lune le 16 juillet 1969 (Michael Collins était resté dans la cabine), que dire de ceux qui bravèrent l'inconnu pour voguer allégrement sur ce qu'ils nommaient la Mer des Ténèbres à la découverte du mystère de la terre? En effet, à la fin du XVe siècle, personne ne peut encore affirmer que la terre est ronde. La science officielle de l'époque est assujettie aux dogmes religieux, à l'Inquisition donc, et la théorie qui prévaut est celle de l'astronome et mathématicien grec Claudius Ptolémée (85-160) publiée dans L'Almageste. Ptolémée y décrit un système astronomique plaçant la terre au centre de l'univers, sans toutefois en préciser ni les contours ni les dimensions. Ce n'est qu'en 1530 que cette thèse est mise en doute par le Polonais Nicolas Copernic. Il ne faut pas non plus oublier que Galileo Galilei (Galilée) fut taxé d'hérésie par le pape Urbain VIII (Maffeo Barberini) et condamné à nier ses propres idées sur la rondeur de la terre et son mouvement rotatif. "... et pourtant, elle tourne!" aurait répondu Galilée avec une pointe de sarcasme non dissimulé à l'endroit de l'inculte pape. C'était en... 1633, quelque cent cinquante ans après les premières expéditions suicides de Colomb.

L'épopée de la découverte du nouveau continent n'est pas le fruit du hasard ni l'effet d'une heureuse orientation des astres. Elle est une suite logique à d'innombrables aventures maritimes et d'expéditions de pêche, alors que les pêcheurs de morues bretons, basques et anglais se rendent régulièrement sur les bancs poissonneux (à l'époque) de Terre-Neuve. Ces derniers ont témoigné bien avant Christophe Colomb de l'existence de terres fertiles et riches, habitées par des êtres étranges et nus, bien au-delà des archipels de Madère, des Açores, des Canaries et des îles du Cap Vert. Quelque 500 ans avant Colomb en effet, les Vikings de Scandinavie, connus aussi sous les noms de Varègues ou Normands, à bord de leurs drakkars à rames et à voiles carrées, à proue sculptée à l’effigie d’un dragon (drakkar étant un mot scandinave signifiant dragon) avaient d'ailleurs déjà débarqué au Labrador et à Terre-Neuve pour établir des comptoirs d'échanges. On a découvert des vestiges de leurs nombreux passages même jusqu'à Boston, en Nouvelle-Angleterre.

Si la recherche de nouveaux territoires dépend de la conjoncture de l'époque, elle a cependant été rendue possible grâce au perfectionnement du gouvernail à étambot et à la construction de nouveaux vaisseaux, les caravelles, en 1440, par les architectes maritimes portugais dans les chantiers navals du prince Henri le Navigateur à Sagres. De conception révolutionnaire, ces bateaux élancés de 50 tonneaux sont plus solides, plus rapides et plus facilement manœuvrables que les autres bateaux de l'époque. Ils sont à trois mâts et à voiles latines (triangulaires et longitudinales), ce qui les différencie des autres gréements à voiles auriques (carrées) efficaces uniquement avec le vent dans le dos. Ce sont les premiers navires construits spécifiquement pour la navigation hauturière. Ils doivent faciliter l'exploration de l'Afrique, libérant les capitaines du cabotage périlleux dans des estuaires inconnus. Par leur dimension supérieure, ils constituent aussi une amélioration substantielle quant au commerce et au transport des esclaves en provenance du continent noir.

De plus, le temps étant un facteur essentiel pour déterminer la position, l'invention de l'horloge à ressort en spirale, au début du XVe siècle, de même que l'apparition de l'aiguille des minutes (l'aiguille des secondes ne fit son apparition que vers 1560) ont permis aux navigateurs de l'époque de faire le point avec beaucoup plus de précision. L'horloge à poids suspendus utilisée auparavant n'était pas très efficace en haute mer et surtout par gros temps, alors que l'horloge à huile – qui mesure le temps par la baisse de niveau d’huile qui alimente une bougie – et le sablier ne comportaient même pas d'aiguille. Pour ce qui est de la boussole, elle serait apparue de façon rudimentaire vers l’an mil en Chine. Si elle permet de savoir où l’on va avec son aiguille toujours pointée vers le nord, elle ne permet pas, sans l’heure juste, de savoir où l’on est, une donnée essentielle pour la navigation hauturière.

Les préparatifs

Lorsqu'il commence à parler de se rendre dans les pays d’Asie en voguant vers l'ouest, Christophe Colomb a déjà accompli plusieurs voyages à titre de marin et de capitaine en Angleterre, en Islande et aux Açores entre autres, pour le compte de plusieurs armateurs dont les pays sont en guerre les uns contre les autres. Il a même eu l'occasion de faire du troc et de toucher au marché lucratif des esclaves en Guinée portugaise. C'est donc un personnage controversé qui se présente aux différentes cours pour réquisitionner des navires afin de partir à la découverte de nouvelles terres et rapporter assez d'or pour libérer la Terre sainte du joug des Turcs de Constantinople. Cette libération, il en fait une mission personnelle.

Pour les uns, il est un négrier avide de pouvoir et assoiffé d'argent, mangeant à tous les râteliers. Obséquieux devant les puissants, il est arrogant envers ses subordonnés tout en méprisant ses alter ego. Pour d'autres, Colomb n'est qu'un poète fou, un rêveur déconnecté de la réalité ou encore un adolescent attardé, imbu des aventures de Marco Polo, relatée dans le Livre des diversités et merveilles du monde publié à Gênes en 1299. Beau spécimen de schizophrène dirait-on aujourd'hui, incapable qu'il est de choisir entre sa vocation messianique au service de la Sainte Église, son rôle de militaire et sa soif de gloire personnelle. Il apparaît tout de même comme la quintessence des conquistadores réunissant courage, audace, orgueil et force morale. Il est le modèle des aventuriers, sans scrupule, qu'aucun obstacle ne rebute. À preuve, Christophe Colomb aurait lui-même menti effrontément à ses armateurs, à ses pilotes et aux membres de l'équipage en faussant la distance parcourue lors du premier voyage, mettant ainsi leur vie en jeu et compromettant sérieusement la sécurité de ses trois navires.

D'après les versions, triomphalistes il faut bien le dire, de son fils Fernando et d'un écrivain contemporain, Las Casas, il semble que Colomb ne soit pas parti à la recherche des Indes, comme on serait porté à le croire. Selon ces deux biographes, il rêvait avant tout de trouver des îles de transit pour s'approvisionner en eau et en nourriture, comme les Açores par exemple, et ainsi faciliter son long voyage en direction de Cypango, les îles du Japon. En y faisant escales, ces nouvelles terres devaient lui permettre d'atteindre l'Extrême-Orient par mer et débarquer enfin dans ces pays exotiques aux richesses fabuleuses.

Dès 1483, Christophe Colomb propose donc au roi Jean II du Portugal de lui confier trois caravelles équipés et approvisionnés pour naviguer pendant au moins un an. Colomb demande de charger les voiliers avec toutes sortes de breloques sans valeurs comme des miroirs, des colliers imitant les pierres précieuses, des petits couteaux et des clochettes. Rien en fait pour défrayer le coût des objets d'or, des tissus fins, de la soie et des épices qu'il aurait sans doute ramenés s'il avait pu débarquer aux Indes sans escales, rapporte encore Fernando Colombo. C'est dire qu'il ne s'attendait pas à atteindre l'Extrême-Orient dans un premier voyage. De plus, il se doutait déjà que les peuplades qu'il allait rencontrer sur ces nouvelles terres étaient loin d'être civilisées. Deux marins, Fernão D’Ulmo – un Flamand dont le vrai nom est Ferdinand Van Olmen – et le Portugais Joao Estreito lèvent d'ailleurs les voiles, en 1487, à la recherche de l'île mythique d'Antilia, tout probablement les Antilles. On n'a cependant jamais plus entendu parler d'eux. D'autre part, dans le Timée, Platon décrit une île, l'Atlantide, si belle qu'elle serait la résidence des dieux. Marin de Tyr, un éminent astronome et fondateur de la géographie mathématique, avait aussi tracé les contours de cette île mystérieuse dans un portulan (1) daté de la fin du 1er siècle et que Colomb avait consulté. Dès le début, Colomb ne s'intéresse nullement à la colonisation (2) . Ce n'est qu'à son troisième voyage qu'il s'en préoccupe. Pour lui, il s'agit avant tout de partir pour mieux revenir... plus riche. Pour mettre toutes les chances de son côté et en bon négociateur qu'il est, Il réclame des titres, des dignités d'amiral, de gouverneur et de vice-roi, en cas de réussite, et une rémunération de 10% tirée des marchandises rapportés, toute exigence que le roi portugais juge hors de proportion. Sa demande est rejetée.

(1) NOTE : Ancienne carte marine qui décrit entre autres, les accès aux ports connus de l'époque.

(2) NOTE : Il est à considérer ici que, si l'Amérique latine - y compris les États-Unis - a subi trois envahissements successifs par les conquistadores, par les colons et par les membres du clergé, le Canada n'en a subi que deux, Cartier et ses marins n'étant pas des gens d'armes.

Toujours convaincu de la faisabilité de son projet, Colomb délaisse le Portugal pour l'Espagne où il se présente à la cour royale. Ll'Espagne consacre à cette époque tout son trésor à combattre la domination des Maures en Andalousie, une province de l’extrémité méridionale d’Espagne (Andalousie est une déformation de Vandalitia, un nom donné aux territoires conquis par les Vandales, un peuple germanique qui avait envahi la Gaule et l'Espagne en 406 de notre ère). Christophe Colomb doit patienter pendant près de cinq ans avant d'essuyer un premier refus humiliant de la part d'une commission royale espagnole. En effet, certains membres trouvent l'aventure farfelue. Avec les connaissances du temps, comment comprendre que l’on puisse atteindre l’est en naviguant vers... l’ouest !!!

Colomb décide alors de tenter sa chance auprès du roi de France. Cependant, sur le point de quitter l'Espagne, la reine Isabelle le convoque à nouveau. Il subit pourtant une seconde rebuffade plus mortifiante encore de la part cette fois d'un comité ad hoc. Cependant, après la victoire inopinée de l'Espagne, le 2 janvier 1492, sur les tours mauresques de l'Alhambra (en Arabe, al-hamrã' qui signifie "la rouge", couleur du pisé et de la terre avec laquelle les Maures avaient construit ces tours, à l'image des remparts en pisé rougeâtre qui ceinturent Marrakech au Maroc, leur pays d'origine) et la capture de leur sultan Boadbil, la couronne modifie ses priorités. L'Espagne, au lendemain de la Reconquista, est de nouveau prête pour d'autres défis et peut se tourner vers une nouvelle destinée. Colomb reçoit donc tout ce qu'il attend de la cour mais sans rémunération en cas d'échec. En fait, la guerre d'Espagne contre les Maures allait se poursuivre contre d'autres infidèles dans les nouvelles terres que prétend conquérir l'étranger. La guerra de Moros sera transformée en guerra de Indios. Au terme matamoros, matamore ou tueur de Maures, s’ajoutait désormais celui de mataindios, tueurs d’Indiens. Ainsi l'avait décidé Isabelle la Catholique, et les bannières royales allaient dorénavant flotter au-delà de la mer Océane "pour la plus grande gloire de l'Espagne et de celle de la Sainte Église".

Le départ

La même année, le matin du vendredi 3 août 1492, à 8 heures, quelque 90 hommes d'équipage et une trentaine d'autres de divers de métier larguent les amarres. Ils quittent le port de Palos de la Frontera dans la province Huelva, à l’embouchure du río Tinto en Andalousie, à bord de trois caravelles gréées latines. Colomb, alors âgé de 39 ans, commande le plus grand et le plus lent des trois navires, la Santa María, un bateau ponté de 100 t (tonneaux), piloté par un capitaine cantabrique, Juan de la Cosa. Martín Alonzo Pinzón, un autre navigateur expérimenté, commande la Pinta, un bateau de 50 t, avec son frère Francisco comme capitaine. L'autre caravelle de 40 t, la Niña, est commandée par le troisième frère Pinzón, Vicente Yañes, et pilotée par Pedro Alonzo Niño, ce dernier ayant baptisé le bateau à son nom vu qu'il en est l'armateur. Les trois caravelles, naviguant de conserve, se dirigent vers les îles Canaries où Colomb fait escale, le 12 août suivant, pour modifier le gréement de ses bateaux, passant des voiles latines aux voiles auriques pour mieux profiter des alizés, un vent de dos. Les voiliers d'aujourd'hui qui participent à la transat annuelle des Alizés, au début novembre, empruntent à peu près le même chemin au départ de France, en passant par les Açores avant de mouiller dans les eaux de la Guadeloupe au début décembre. Ils hissent le spinnaker dès la sortie du port pour profiter des vents arrières.

Le 9 septembre, les trois navire quittent les îles Canaries en direction plein ouest et le 12 octobre 1492, quelque 71 jours après le départ de Palos, Juan Rodríguez Bermejo, un marin perché sur le château de vigie de la Pinta s'écrie enfin : "Terre! Terre!", devenant ainsi le premier découvreur de l'Amérique, en fait (1). Quelques heures plus tard, les bateaux mouillent dans une anse de Guanahani, l'une des îles Lucayes aux Bahamas (l’île Watling aujourd’hui). Christophe Colomb en prend possession au nom de la cour d'Espagne devant un groupe d'insulaires : les Arhuacos. Ce sont des Indiens imberbes, nus, démunis et pacifiques qui s'entourent continuellement d'un nuage de fumée (ils fument le cigare)

(1) NOTE : Christophe Colomb aurait empoché la récompense de 1 000 maravédis offerte par la reine au premier marin à apercevoir une nouvelle terre et qui équivalait à un mois de salaire.

Le 6 décembre, Colomb touche l'extrémité ouest d'une grande île qu'il nomme Isla Española (aujourd'hui l'île d'Hispaniola, soit Haïti et la République Dominicaine). Il y rencontre d'autres insulaires qui, cette fois, lui offrent des masques et des ornements primitifs en or, en échange de clochettes et autres babioles. Ne parlant pas leur langue, Colomb remarque toutefois que les femmes et les hommes indigènes ne se comprennent pas non plus entre eux. Ce n'est qu'à son second voyage qu'il résoudra cette énigme. Ces autochtones sont, en fait, des Caraïbes (Karib), des Indiens belliqueux et surtout cannibales (karibal en indigène) qui terrorisent toutes les Antilles méridionales. Selon un rituel qui date de millénaires, ils dévorent leurs ennemis vaincus pour mieux s'approprier leurs femmes comme concubines. Les femmes arhuacos ne sont donc pas pressées d'apprendre la langue de ceux qui terminent à peine de se curer les dents avec les os de leurs ex-conjoints.

Le retour

Utilisant le bois et les matériaux récupérés de la Santa María naufragée, Colomb construit un fort, Navidad, où il laisse une quarantaine d'hommes en garnison avant son départ vers l’Espagne le 4 janvier 1493, alors qu’il rentre au port de Palos le 15 mars. Ne rapportant que peu d'or, ses exploits n’en suscitent pas moins beaucoup d’enthousiasme et il est reçu à la cour avec tous les honneurs dus à ses succès. Confirmé dans ses titres d'amiral et de vice-roi d'Espagne, il ne trouve alors aucune difficulté à financer sa seconde expédition qu'il entreprend cette fois, en 1993, avec 17 bateaux bourrés de plus de 1 500 hommes armés d'épées, de lances, d'arbalètes et d'escopettes (tromblons primitifs, genre d’arme à feu a canon court et évasé). Il emmène aussi des chevaux et quelques... prêtres.

Pendant ce temps, et pour éviter la guerre entre l'Espagne et le Portugal
– bénéficiaire privilégié de toutes les découvertes outre-Atlantique, c’est-à-dire au-delà des Açores dont la souveraineté échouait à l’Espagne selon le traité d’Alcaçovas signé en 1479 – qui réclame à cor et à cris les découvertes de Colomb, le pape espagnol Alexandre VI Borgia accorde à l'Espagne, selon quatre bulles de 1493, toute autorité sur les nouveaux territoires à cent lieux à l'ouest des Açores. Toujours pour éviter une guerre, l'Espagne signe le traité de Tordesillas en 1494 avec le roi Manuel le Fortuné du Portugal et lui cède les possessions qui rétablissent les limites des concessions portugaises préalablement accordées. Le traité porte la frontière édictée par le pape à 370 lieux à l'ouest des Açores, ce qui donne l'autorité au Portugal sur les territoires de l'actuel Brésil, au grand dam de la France et de l'Angleterre, toutes deux exclues de ce partage. Le Brésil devient ainsi colonie portugaise six ans avant qu'un Portugais, Pedro Alvarez Cabral, en route vers Calicut aux Indes, n'y mette les pieds pour la première fois, le 21 avril 1500.

Entre le 12 et le 25 novembre 1493, au cours de son second voyage, Colomb débarque d'abord sur une île qu'il nomme Guadalupe. Puis, il navigue vers la Dominique, vers Marie-Galante, (du nom de son bateau), vers les îles Vierges, les Saintes, Monserrat, Santa María la Redonda, la Antigua et la Désirade avant de rejoindre Navidad sur Isla Española. Le fort est complètement rasé et il ne reste plus aucun survivant de la garnison qu’il y avait laissée. Avec horreur, Colomb découvre que ses hommes ont été tués et dévorés par les autochtones.

Plutôt que de chercher vengeance, il fait appel à la bonne volonté du cacique caraïbe et lui demande l'aide des Indiens pour construire la ville d'Isabela (plutôt un fortin pour se défendre des cannibales qu'une ville proprement dite). Peu habitués au labeur forcé, ces derniers ne tardent pas à se révolter et à attaquer les Espagnols qui, cette fois, sont bien décidés à les soumettre. Bien que mieux armés que les Arhuacos, les Caraïbes se font joyeusement massacrer. Les Espagnols à cheval, armes à feu et épée en main, lancent leurs chiens de guerre contre les sauvages et leurs ridicules fléchettes empoisonnées qui ne pénètrent pas le fer des armures. D'autant plus que les Caraïbes sont complètement pris de panique. En effet, ils croient dur comme fer que ces immenses bêtes en fer, portant dessus un homme, en fer aussi, crachant le feu et le fer du bout des bras, ne sont qu'un même et unique démon, centaure directement sorti des enfers.

Il y a beaucoup de pertes du côté des Indiens; les survivants sont distribués (repartimiento) en esclavage aux Espagnols. Mais la main-d'œuvre manque désespérément. Tellement que, à la suggestion d'un religieux, Fray Bartolomé de Las Casas, on décide de faire venir des esclaves noirs d'Afrique pour terminer la construction de l'église d'Isabela. Il n'est pas sûr que Christophe Colomb ait pris lui-même la décision d'importer des esclaves. Mais il demeure incontestable qu'il ait eu de bons contacts dans ce commerce en Guinée portugaise et qu'il pouvait facilement en organiser le transport.

La révolte s'installe bientôt au sein des membres de la colonie espagnole, affaiblie par la faim et la fièvre, causes de nombreux décès. Colomb rationne les nobles et les prêtres et les oblige même à travailler, ce qui provoque d'autant plus la colère que leur statut social, en Europe, les exempte automatiquement et à perpétuité des abjections du travail sous toutes ses formes. Le catalan Maragrit s'échappe, vole un navire et gagne l'Espagne, accompagné d'un ecclésiastique rebelle, Fray Boyl. Ils font un rapport accablant à la reine et prétendent que Colomb traite les prêtres et les nobles sujets de sa majesté en esclaves. La reine Isabelle se voit forcée de déléguer un commissaire royal pour assumer l'autorité sur toutes les colonies. Elle précise même qu'aucun de ses loyaux sujets, anciens ou nouveaux, n'est et ne saurait être esclave (les esclaves ne paient pas d'impôt). Mais les conquistadores feront fi des doléances de la cour d'Espagne vis-à-vis du traitement infligé aux Indiens. Ils continueront la distribution d'Indiens aux encomenderos, possesseurs d'Indiens en tutelle, tout au cours de leurs nombreuses escarmouches avec les différentes tribus et pendant tout le temps que durera la conquête.

L'esclavage

Tout au cour de la conquête, les Espagnols réduisirent en fait toutes les civilisations du Nouveau Monde à la servitude, traitant les Indiens avec bonté quelquefois, mais surtout avec beaucoup de cruauté, au gré de leur fantaisie et selon leur propre vanité. Quand les conquistadores en armes sont en présence d'Indiens, un greffier lit au cacique la requerimiento, une mise en demeure de reconnaître un seul Dieu et l'autorité du roi d'Espagne sur leurs territoires, autorité conférée par le pape. Les Indiens, évidemment, ne comprennent jamais la teneur de ce document, et leur indifférence "justifie" alors le combat engagé et la prise d'esclaves.

En cela, les conquistadores suivent à la lettre les huit principes décrit par Vitoria et publiés plus tard à Salamanque en 1539 dans la Relectiones de Indis :

1- Les conquistadores ont le doit de passage et de commerce. La résistance à ces droits justifie la guerre;

2- Les conquistadores ont le droit de prêcher l'Évangile partout. La résistance à l’Évangile justifie la guerre;

3- Si les nouveaux convertis sont forcés de revenir à leurs anciennes divinités par leurs princes, cela justifie la guerre;

4- Le pape peut remplacer un prince païen par un chrétien si un bon nombre de sujets du premier se convertissent;

6- La guerre est justifiée si la majorité des sujets d'un prince désirent devenir sujet du roi d'Espagne;

7- Si deux princes païens sont en guerres, les Espagnols peuvent s'associer à l'un des deux pour combattre l'autre et partager les fruits de la victoire;

8- Les Indiens sont incapables de se gouverner eux-mêmes. L'intervention armée des Espagnols pour imposer leur propre gouvernement est donc justifiée.

À l'arrivée de l'émissaire de la reine, la ville d'Isabela est abandonnée à la nature qui a repris sa place. On fonde alors Nueva Isabela qui devint plus tard Santo Domingo et qui servit de siège au gouvernement des Indes espagnoles pendant plus de cinquante ans.

En 1499, le noble Alonzo de Ojeda part en expédition d'Hispaniola, accompagné de Juan de la Cosa et d'un obscur italien du nom d’Amerigo Vespucci, ancien petit épicier de Séville devenu marin par hasard. Il navigue sur le lac Maracaibo, à l’intérieur même du continent, et aborde le Venezuela, la petite Venise, ainsi nommée un peu par dérision à cause des huttes des Indiens bâties sur pilotis. Il débarque ensuite à Cabo de la Vela, sur la péninsule de la Guajira, pour découvrir la Colombie. Il faudra attendre deux ans pour que s'organise, en 1501, une première reconnaissance de ce nouveau territoire, sous la direction de Juan de la Cosa, qui compte parmi ses hommes un simple soldat ambitieux du nom de Francisco Pizarro, futur conquistadore du Pérou.

Ce n'est qu'à son troisième voyage, en 1498, que Christophe Colomb longe enfin le continent proprement dit (tierra firme), Il navigue alors le long des côtes du Venezuela, à l'embouchure du río Orinoco qu'il croit être le fleuve qui mène au paradis. À son quatrième et dernier voyage en 1502, Colomb débarque en Amérique centrale et apprend des Indiens l'existence d'une autre mer que Vasco Núñez de Balboa observe pour la première fois le 25 septembre 1513, sur les hauteurs d'une montagne du Panamá. Balboa vient de découvrir le Pacifique. Le Nouveau Monde est alors déjà connu sous le nom d’Amérique, du prénom d'Amerigo Vespucci. Le moine et géographe Martin Waldseemüller, un ami personnel de Vespucci avec qui il a navigué, utilise en effet le premier cette appellation, notamment dans un atlas publié en 1507 à Saint-Dié-des-Vosges, en France, ville productrice de papier. Tous les historiens sont cependant unanimes à attribuer la découverte de l’Amérique à Christophe Colomb, mort en 1506 à l’âge de 55 ans. Certains considèrent Amerigo Vespucci comme un vulgaire usurpateur. Pourtant, ce fut Vespucci qui, le premier, compris que les nouveaux territoires découverts par Christophe Colomb constituaient en fait un nouveau continent, ce dernier continuant à croire qu’il avait atteint l’extrémité est de l’Asie. Pour ce qui est d’Amerigo Vespucci, il et mort du paludisme à Séville en 1512.

L'ÈRE POSTCOLOMBIENNE

Vasco Núñez de Balboa

Après avoir été trahi par des compagnons d'armes, Balboa se voit tout de même confier le titre de gouverneur de deux provinces du Pacifique d'où il fait construire quatre brigantins (navires à deux mâts, un seul pont et à huniers auriques) pour partir à la découverte de nouveaux territoires sur le nouvel océan. Dénoncé de nouveau, cette fois pour trahison contre le gouverneur Pedro Arias de Avila, surnommé Pedrarias, il est arrêté par Francisco Pizarro – désormais monté en grade –, traduit en justice sous l'accusation de haute trahison et finalement condamné à la décapitation en 1517. Francisco Pizarro s'embarque alors comme commandant des navires tout neufs et vogue sur le Pacifique. C'est une première de la part des conquistadores, cette percée par le Pacifique. Mais elle s'avère un échec parce que les navires longent des rives inhospitalières, constituées de marécages et de forêts vierges, où ils ne peuvent se ravitailler. Mais Pizarro se reprendra quelques années plus tard, comme nous le verrons plus loin.

Hernáno Cortés

En 1519, Hernáno Cortés y Pizarro, né à Trujillo en Extremadura, une région de l’ouest de l’Espagne, et cousin de Francisco Pizarro, quitte Cuba et débarque dans l'île de Cozumel. Il y passe ses troupes en revue et en fait le recensement avant d'accoster sur la côte continentale du Mexique, découvert en 1517 par Francisco Hernández de Córdoba.

Avec quelque 600 hommes, des mousquets et une vingtaine de chevaux, il compte envahir le pays des Mexicas qui deviendra plus tard la Nouvelle-Espagne (le Mexique). Pour forcer ses hommes récalcitrants à aller de l'avant et à pénétrer à l'intérieur des terres, il saborde lui-même ses propres navires sur la côte de la péninsule yucatèque au sud du territoire mexica. Il visite les pyramides toltèques du Yucatán, découvertes aussi en 1517 par Henandez de Cordoba. Là, on l'informe que les Aztèques terrorisent depuis longtemps les autres tribus mexicas dont les Toltèques, les Mayas, les Tlaxcaltèques et les Cempoalans entre autres. La puissante civilisation aztèque a en effet établi sa domination depuis des siècles sur tout le territoire mexica jusqu'au Guatemala.

Hernáno Cortés comprend vite l'intérêt qu'il peut tirer de cette situation explosive. En effet, il s'agit pour lui de s'associer avec les uns pour combattre les autres, comme il est d’ailleur prescrit dans la 7e requerimiento. À ce moment-là, les Aztèques forment un empire de plusieurs millions de sujets. Ils savent lire et écrire, et l'aztèque Moctezuma marche littéralement sur l'or, les semelles de ses souliers en étant couvertes. C'est par courrier que ce dernier apprend que des êtres étranges, blancs, barbus et bardés de fer sont descendus sur la côte et qu'ils ont entrepris un voyage à l'intérieur du continent vers les hauts plateaux de ce qui est aujourd'hui Mexico. Les Aztèques occupent en effet Tenochtitlán-Mexico, une haute vallée à 2 270 m au-dessus du niveau de la mer et protégée par des montagnes. Ils sont répartis dans une dizaine de cités dont la majorité sont lacustres et que l'on atteint en franchissant des ponts tournants. On y trouve des remparts, des tours, des temples, des palais fabuleux, des édifices publics, des esplanades et même des aqueducs pour amener l'eau douce dans les maisons et évacuer les eaux usées, les cités lacustres étant construites sur des lagunes d'eau salée.

Toutes les constructions sont en pierres bien taillées et cimentées, recouvertes de chaux. Elles sont souvent décorées de boiseries odoriférantes en cèdre ou autres bois précieux. Elles sont séparées par de grandes chaussées pavées, nivelées et rectilignes qui se coupent à angle droit (aucune civilisation de l'Amérique du Nord ou du Sud, aussi avancée soit-elle, ne connaît pourtant l'usage de la roue). Certaines cités sont plus grandes et plus magnifiques que Grenade ou Séville, alors que d'autres rivalisent en beauté avec Genève, Pize ou même Venise, pour les cités lacustres, selon les premières réactions espagnoles, telles que rapportées par les chroniqueurs de l'époque. L'abondance y règne partout, comme en témoignent les marchés publics plus grands que ceux de la majorité des grandes villes d'Espagne. On y offre des produits plus diversifiés et en plus grande quantité et les étalages sont regroupés par produits, à l'image des marchés arabes.

En 1520, Cortés fait construire des brigantins de façon à attaquer les Aztèques par voies de terre, certes, mais aussi par voies de mer, pour éviter le piège des ponts tournants. Lors d'une rencontre se voulant pourtant pacifique, Cortés fait lire la requerimiento à Moctezuma par l'un de ses capitaines. Par l'entremise d'une traductrice indienne et concubine de Cortés, doña Marina, Moctezuma lui demande qui est cet énergumène de roi qui, dans son pays lointain, se permet de donner des terres qui ne lui appartiennent pas.

Le prenant en otage, Cortés se rend maître assez facilement de la civilisation aztèque tout entière. Le barbu blanc, croient les Indiens, est l'incarnation de l'un de leurs dieux, Quetzalcóatl, le Serpent à Plumes. En outre, Cortés a regroupé sous son commandement la plupart des autres tribus indiennes qui voient en lui le libérateur du joug aztèque. D'autant plus qu'il est le maître du tonnerre : il tire du canon. Si la première confrontation avec les Aztèques se déroule sans encombre et en si peu de temps, il mettra tout de même plus de trois ans à asseoir sa domination sur cette partie du Nouveau Monde. Il devra, en effet, affronter rébellion sur rébellion de la part des Indiens. Ils le combattent en démontrant un courage peu commun, d'autant plus qu'ils connaissent maintenant sa nature humaine qui ne s'apparente guère à celle de leurs dieux. Cortés est même forcé d'abandonner Mexico, le 30 juin 1520, à l'issue d'une bataille de nuit, la Noche triste, où tous ses bateaux sont détruits, et près de deux tiers de ses hommes tués ou capturés. Ce qui n'est pas sans causer un certain désarroi, car les Aztèques sont anthropophages et n'hésitent pas à dévorer les vaincus sur le champ de bataille. Même les alliés de Cortés sont cannibales, et c'est avec la plus grande horreur que les Espagnols assistent aux banquets de fin de batailles, alors que tous les Indiens amis ou ennemis se gavent de la chair des vaincus.

Cortés reçoit des renforts de Cuba pour relever ses troupes fatiguées. Il repart de nouveau en campagne et cette fois, il s'en tire victorieux pour de bon. Les Aztèques sont anéantis complètement, peuple et culture. Cortés détruit, sans vergogne et en y mettant le feu, toutes les cités qu'il qualifiait lui-même de merveilleuses. Il ordonne la démolition des temples et des édifices à coup de pioche, dans un processus d'éradication systématique. Les Espagnols utilisent ensuite les matériaux récupérés pour construire leurs propres églises, palais, édifices publics, maisons et autres installations, sur les sites mêmes de ceux qu'ils viennent à peine de démolir, selon le style mudéjare en influence dans la mère patrie.

Fernand de Magellan

Outre les italiens Christoforo Colombo, Amerigo Vespucci et Giovanni Cabotto, l'Espagne avait aussi adopté Fernão de Maghalhães du Portugal qui prit le nom de Fernando Magallanes. Magellan donc, un autre navigateur chevronné, avait pendant ce temps découvert, le 28 novembre 1519, le fameux passage tant recherché qui permettait d'unir l'Atlantique et le Pacifique. C'est un parcours dangereux mais navigable, au sud de l'Argentine, qu'il nomme à juste titre le détroit de Magellan, l'une des découvertes les plus fantastiques en ce qui concerne la connaissance géographique du monde de l'époque. En atteignant le nouvel océan, au cap Deseado au Chili, il le nomme El Mar Pacifico, la mer Pacifique, à cause du temps magnifique – pacifique – qu'il y fait à ce moment. C'est pourtant un fait exceptionnel à cette latitude, été comme hiver. Même si Núñez de Balboa a déjà vu le Pacifique quelques années avant, en 1513 au Panamá, c'est tout de même sous le nom choisi par Magellan qu'il sera consigné dans les atlas de l'époque.

Magellan meurt aux Philippines le 27 avril 1521, tué par une sagaie (javelot) indigène. Cependant, l'un de ses lieutenants, Elcano, poursuit la route à bord d’un des cinq vaisseeaux de Magellan, le Victoria, et rentre en Espagne, réussissant ainsi la première circumnavigation de l'histoire. Son voyage autour du monde aura duré trois ans.

Francisco Pizarro

Francisco Pizarro ne sait ni lire ni écrire. Il gardait les pourceaux dans son Extremadura natale. Mais est-ce bien nécessaire chez un conquistador à qui on demande de maîtriser le maniement de l'épée et de compter l'or? Pour ça, on peut s'y fier. Pizarro est un guerrier qui sait compter. On exige aussi de lui qu'il sache commander des hommes. Pour ça aussi, pas de problème. Ses troupes ont en effet autant peur de lui que des ennemis qu'ils rencontrent. Fils bâtard d'un gentilhomme ruiné de Trujillo d'Extremadura en Espagne, Pizarro a fait parti de l'expédition de reconnaissance de Juan de la Cosa, en 1499, sur la côte caraïbe de la Colombie à titre de simple soldat. Son ambition personnelle et son manque total de considération pour qui que ce soit lui ont permis de grimper rapidement l'échelle des grades. C'est la raison pour laquelle on l'avait chargé de l'arrestation de Balboa dont il a commandé les navires sur le Pacifique, le long des côtes de l'Amérique centrale.

Au Panamá en 1524, Francisco Pizarro s'associe à Diego de Almagro – autre illustre illettré qui s’identifiait au nom de son village, Almagro, aussi en Extremadura. Pizarro le fit d’ailleurs étrangler en prison en 1538. À leur tour, les partisans du fils d’Almagro assassineront Pizarro en 1541 –, et à un prêtre, Fernando de Luque, que les Panaméens surnomment Fernando el Loco (Fernand le fou). Ensemble, ils affrètent un navire et Pizarro part de nouveau vers le sud avec une centaine d'hommes. Trouvant difficilement à se ravitailler dans les marécages que constitue la côte du Pacifique, il aborde une terre plus hospitalière, Isla Gorgona, puis un village du continent, au sud de Buenaventura, devenant ainsi le seul conquistador à avoir foulé la Colombie par l'Atlantique et le Pacifique.

Des Indiens lui fournissent des vivres et lui offre de l'or en petite quantité. Assez tout de même pour piquer sa curiosité. Il entend parler pour la première fois d'une civilisation fascinante, à l'organisation pyramidale, dont les tentacules de civilisation commencent à peine à pénétrer en Colombie. Les Incas ont en effet déjà établi leur domination sur l'Équateur, le Birú (Pérou), la Bolivie, le Chili et probablement une partie de l'Uruguay et de l'Argentine depuis des centaines d'années et amorce leur domination dans le sud de la Colombie. Les Indiens lui décrivent des cités incaïques étonnamment développées avec des maisons, des temples et des palais gorgés d'or, Cuzco et Cajamarca sans doute, où séjourne le grand inca. Envoûté par ces discours itératifs chaque fois qu'il s'arrête pour s'approvisionner, Pizarro vogue de plus en plus vers le sud.

Il fonde la ville de San Miguel en Équateur, à l'embouchure de la Chira, une rade protégée sur le Pacifique. Ce sera un pied-à-terre sûr d'où il pourra partir à la conquête du Pérou, et recevoir du renfort du Panamá ou de la Nouvelle-Espagne si besoin est. Il en laisse le commandement à Sebastián Moyano de Belalcázar.

À cette époque et au grand étonnement de Pizarro lui-même, tout le territoire inca est sillonné de chaussées pavées qui facilitent le commerce, même si les Incas ne connaissent pas non plus la roue. Une route par exemple, réunit Santiago au Chili à Quito en Équateur sur une longueur de plus de 5 000 km. Toutes ces artères sont desservies par des relais judicieusement postés à intervalles réguliers qui comportent des silos pleins de maïs et autres denrées pour se ravitailler entre les étapes et même des vêtements de rechange. C'est donc avec une surprenante facilité que Pizarro, en 1525, peut pénétrer à l'intérieur du pays des Incas en utilisant les installations gracieusement mis à sa disposition par ceux-là même qu’il s’apprête à attaquer.

À cette époque, la guerre civile fait rage au sein de l'empire inca (1), alors que deux frères s'en disputent le trône. En effet, le souverain Huayna Cápac est mort sept ans auparavent. Il était le onzième inca de la dynastie. Dans son testament, Huayna Cápac a divisé l'empire en attribuant à son fils héritier légitime, Huascár, le gouvernement de Cuzco au Pérou où se trouve le fameux Inti-Huasi, le temple du Soleil, dont les murs sont en or massif. Mais il a aussi fait don de la province de Quito en Équateur à Atahualpa, un autre fils plus énergique issu de son harem. Ce dernier sort vainqueur d'une guerre fratricide qui le projette sur le trône où le peuple l'adore comme un véritable Inca-Soleil.

(1) NOTE : En langue quechua, le mot inca signifie chef. S'il désigne aussi toute une civilisation, il implique qu'il s'agit d'un peuple de haute noblesse et de grande culture.

Atahualpa a établi sa résidence à Cajamarca au nord du Pérou où Pizarro lui demande audience. Atahualpa le reçoit avec beaucoup d'honneur – comme un frère pourrait-on dire –, et l’installe, lui et ses hommes, dans une résidence somptueuse réservée aux visiteurs de marque du royaume. Il lui offre même la coca, la drogue sacrée des Incas utilisée spécialement dans les cérémonies religieuses et les fêtes civiles. Mal lui en prit, car Pizarro se sent bizarre tout à coup. Il "allume". Il hallucine peut-être, la drogue ne produisant pas les mêmes effets chez tous les consommateurs. La panique s'empare de lui. Il se sent soudainement piégé. Il vient de réaliser qu'il est entré les yeux fermés dans la gueule du loup, avec tout son contingent de quelque 170 hommes dont 62 cavaliers. Ils sont cernés de toute part par plus 40 000 Indiens faiblement armés... mais armés tout de même, et habiles à utiliser l'arc, les flèches empoisonnées et la fronde. Il réalise qu'il doit tenter le coup de force, s’il veut sortir vivant de cette impasse. En accord avec ses hommes, il ourdit le dessein de s'emparer d'Atahualpa. Il sait pertinemment bien qu'Hernáno Cortés, son propre cousin, n'a pas hésité à utiliser la ruse au Mexique, quelques années auparavant, pour prendre Moctezuma en otage. La centralisation politique aidant, il sait aussi par expérience que, décapité de son inca, le peuple se laissera facilement contrôler.

Prétextant une discussion sans importance entre "frères", il invite Atahualpa à une rencontre informelle tôt le lendemain. En moins d'une heure, Pizarro met l'empire incaïque à ses genoux, vassalisé au royaume d'Espagne, équipé qu'il est de chevaux, de chiens de guerre, de couleuvrines (canons à tube long et effilé), de mousquets et d'arbalètes, toutes armes et animaux encore inconnus ici, surtout les hommes-chevaux centaures. Pizarro et sa bande d'hystériques tirent partout. Dans le tas. Sans même viser. Résultat? Plus de 4 000 morts chez les Incas, aucune perte chez les Espagnols qui ont, de plus, réussi à capturer Atahualpa.

Pendant la détention de l’inca qui se poursuivra pendant plus de six mois, Pizarro a tout de même la décence de le traiter avec la dignité due à son rang, lui laissant sa cour et son harem. Il l'invite à manger à sa table et lui enseigne même à jouer aux échecs. Entre-temps, ses soldats laissés libres en profitent pour se livrer au pillage du palais somptueux de l’inca, digne des royaumes enchantés décrits dans les romans de chevalerie à la mode en Espagne, notamment l'Amadis de Gaule et Les Exploits d’Esplandián rédigés par Ordóñez Montalvo et publiés respectivement en 1508 et en 1521. Pizarro ne sait peut-être pas lire, mais il peut apprécier. Longtemps avant, les Incas avaient vaincu les Chimús pour s'emparer de leur trésor qui, eux, avaient déjà fait main basse sur l'or des Mochicas, leurs ancêtres. La résidence d'Atahualpa regorge donc d'objets de luxe en or pur, de bijoux, de vases, d'ustensiles et de pierres précieuses.

Pour payer une rançon en échange de sa liberté, Atahualpa offre même de remplir d'or une pièce de 4 pieds sur 5 et ce, à hauteur de bras. En quelque deux mois, il exécute sa promesse, ses chasquis (messagers) faisant le tour du royaume pour amasser tout l'or, l'argent et les émeraudes qu'ils peuvent recueillir sous forme de statuettes, de jarres, d’ornements ou de bijoux. Ça ne représente cependant qu'une infime partie de l'immense fortune royale préalablement enfouie dans une cache et qui n'a jamais encore aujourd'hui été découverte. Avis aux intéressés.

La cupidité aidant, les Espagnols se ruent sur les émeraudes, pierres vertes qu'ils traitent comme des diamants. Ils tentent d'en déterminer la valeur en les frappant à coup de ferratier (marteau de maréchal-ferrant). Ils en fracassent la majorité avant que l'un d'eux ne s'aperçoive de leur bêtise.

Au lieu de libérer l'inca à qui il avait pourtant donné sa parole, Pizarro le fait baptiser, manœuvre dolosive par excellence, à l'incitation d'un ecclésiastique de mauvaise foi, Fray Vicente de Valverde. Puis, d'un revirement pour le moins spectaculaire, il l'accuse d'inceste à l'endroit de ses soeurs avec qui Atahualpa est effectivement marié. Il l'accuse aussi de polygamie puisqu'il a de nombreuses femmes, de fratricide (n'a-t-il pas tué son frère Huascár?) et d'idolâtrie, étant adoré à titre d'Inca-Soleil, tous crimes punissables de mort... dans la religion catholique de l'époque de l'Inquisition.

Atahualpa est donc étranglé et écartelé, selon les rites de châtiment appliqués en Espagne par l'Inquisition, puis brûlé sans autre forme de procès. Ce "meurtre" constitue un crime impardonnable pour les Indiens et prélude à la révolte qui sera sauvagement matée. Quelque 50 ans après la venue de Pizarro au Pérou, il ne restait plus guère que 30% de la population indienne initiale, décimée qu'elle fut à la suite de multiples confrontations, escarmouches et propagation de maladies importées d’Europe comme la variole. Condamnés aux travaux forcés pour rébellion contre les détachements espagnols, des millions d'Indiens ont aussi perdu la vie uniquement dans les mines d'argent du Potosí en Bolivie, les mines les plus riches au monde, découvertes par hasard en 1545 par un Indien yanacona (serviteur), accompagné de son maître, un Espagnol du nom de Villarroël. Les Indiens y meurent de froid, de famine ou de fatigue. Ils sont surtout engloutis vivant par les éboulements dus aux techniques de creusage sans étayage. Le tout, avec la bénédiction tacite de l'Église. Du moins, sans condamnation. Parce que, dans les cas de meurtres prémédités ou de génocides systématiquement répétés comme ici, il n'y a pas de zones grise. Si on ne crie pas haut et fort l'indignation sur toutes les tribunes, on approuve. Certains ecclésiastiques sur le terrain se sont élevés contre l'esclavage et le travail forcé des Indiens, entre autres les dominicains Fray Bartolomé de Las Casas et Fray Antonio de Montesinos. Mais rarement ces derniers se sont-ils plaints en hauts lieux de la cruauté inacceptable des Espagnols envers les autochtones même selon les normes de l'époque.

On se plaît à imaginer que si les Aztèque ou les Incas avaient connu la roue et les armes à feu, s'ils avaient pu combattre leurs ennemis à dos de cheval et à armes égales, ils les auraient sans aucun doute vaincus.

La conquête de la Colombie

Peu après, en 1536, l'homme de confiance de Pizarro à San Miguel, Sebastián Moyano de Belalcázar, se prépare à envahir l'actuelle Colombie par la côte du Pacifique. Son commandement étant bien ancré à San Miguel et à Quito dont il a aussi la charge à titre de gouverneur, il prend avec lui tous les Espagnols disponibles et près d'un millier d'Indiens. Il pénètre très profondément dans la province de Popayán, et son expédition l'amène bien au-delà du territoire auparavant dominé par les Incas dont la propre pénétration, considérée pourtant comme inéluctable jusqu'ici, a été stoppée net par l'occupation de Pizarro.

La Colombie est alors peuplée d'Indiens en majorité cannibales, sous la domination de petits rois régionaux continuellement en guerre les uns contre les autres. Rien pour affronter un détachement de fantassins bien armés de canons et de mousquets et une cavalerie secondée par des meutes de chiens de guerre.

La rencontre fortuite des conquistadores venus du nord, de l'est et de l'ouest

En revenant en arrière, en 1499 et sur la côte est des Caraïbes, on s'aperçoit que, dès les tous débuts de la conquête du territoire colombien, les conquistadores ne rencontrent que peu ou pas de résistance de la part des Indiens, à peine moins primitifs à leurs yeux que ceux des archipels des Antilles dont ils connaissent déjà les faiblesses. Les féroces anthropophages Caraïbes, Tumacos, Pijaos et Panches ne livrent pour ainsi dire aucun combat aux nouveaux venus. Malgré leurs victoires successives et relativement faciles dans les îles caraïbes (Ponce de León finit d'occuper La Hispaniola en 1493 et prend possession de Puerto Rico en 1508. La Jamaïque est conquise le 5 mai 1509 par Juan de Esquivel et l'île de Cuba par Diego Veláquez en 1511), les Espagnols sont véritablement terrorisés à la seule idée de devoir combattre l'une de ces tribus qui mangent les prisonniers sous leurs yeux, directement sur le champ de bataille, en ragoût, dans "des marmites avec du sel, des piments et des tomates" (1) . Crus, s'ils n'ont rien pour les faire cuire. À travers les âges et les cultures, la faim a souvent dicté le menu des belligérants, alors que les guerriers fatigués, blessés, affamés ne sont pas toujours approvisionnés adéquatement. De plus, dans plusieurs mythologies, une croyance veut que les combattants s'accaparent de l'âme et du courage de l'ennemi en le dévorant. C'est la raison pour laquelle les Indiens s'associent souvent aux Espagnols qui se préparent à envahir un territoire où règne un tyran. Ils savent qu'ils feront bombance à bon marché et qu'ils rehausseront leur courage. Certaines tribus vont plus loin et pratiquent le sybaritisme en hommage aux dieux. En effet, elles engraissent les enfants prisonniers comme des animaux de basse-cour, strictement dans le but de les manger lors de cérémonies religieuses. D'autres organisent même des raids chez leurs voisins uniquement pour s'approvisionner en chair humaine.

(1) NOTE : Selon Bernal Diaz del Castillo, un chroniqueur de l'époque.

Si les Quimbayás n'offrent pas non plus de résistance, il n'en est pas de même pour les autres peuples indiens des plateaux andins qui combattent farouchement avant de se réfugier dans les montagnes pour fuir les menées impérialistes de Charles Quint dont les troupes les envahissent dorénavant sur trois fronts. Il ne reste pratiquement plus rien de ces civilisations qui comprenaient près d'un million d'indigènes.

À la recherche de l'or dont les Indiens ne cessaient d'en vanter les innombrables filons, beaucoup d'explorateurs et de rêveurs picaresques sillonnent le pays pourtant réputé pour son accès difficile. Une première reconnaissance du territoire colombien s'organise dès 1501, sous la direction de Juan de la Cosa, un membre de l'expédition de Rodrigo de Bastidas. Il explore d'abord le littoral de la mer des Caraïbes puis fonde la première cité, Santa Marta, en 1525 à l'extrémité du cap de la Aguja dont Bastidas devient le gouverneur. Quelques années plus tard, en 1533, Pedro de Heredia (Pedredia), un noble de Madrid, jette les premières pierres de ce qui est aujourd'hui Cartagena, le second établissement permanent au pays situé à l'entrée du golf de Darién.

Gonzalo de Quesada

Mais c'est au conquistador Gonzalo Jiménez de Quesada que l'on doit la fondation de Ciudad Nueva de Granada qui devint Santafé de Bogotá, l'actuelle capitale de la Colombie.

Santafé de Bogotá

Descendant d'une famille de la noblesse espagnole et avocat de profession, Gonzalo de Quesada aborde le territoire de Colombie par la côte caraïbe avec quelque 160 des 800 hommes qui formaient son expédition au départ d'Espagne, les autres ayant disparus en mer à la suite de fortes tempêtes. Alors âgé de 34 ans et accompagné de Don Pedro Fernández de Lungo, il remonte le río Magdalena en 1538 depuis Santa Marta. Après la perte de ses bateaux, de multiples escarmouches avec les Indiens, la fièvre, la famine et la mort par épuisement de ses hommes – souvent aussi dévorés par les alligators –, il parvient enfin dans une vallée cultivée des Andes. Il est surpris d'y découvrir de nombreux villages aux coquettes maisons de bois, aux portes desquelles carillonnent doucement des mobiles en or pur. Plus loin, il parvient à des cités avec des édifices imposants et des forteresses difficiles à conquérir : le territoire chibcha. Il y avait, en effet, plusieurs millénaires que les Chibchas avaient conquis ces terres pour y asseoir leur civilisation. Épouvantés à la vue des chevaux, les premiers Indiens rencontrés lui offrent des enfants à manger, croyant avoir affaire à des Panches, une tribu cannibale rivale.

Quesada a tôt fait d'asservir l'un des deux rois régnants, Tunja, et d'accaparer ce qu'il croit être son trésor, alors que les Indiens en ont caché la plus grande partie. Il part ensuite à la recherche du second roi, Bogotá, dont le refuge lui a été révélé par des Chibchas livrés à la torture de ses hommes. À la suite d'une courte bataille – plutôt une débandade de la part des Indiens terrorisés par les chevaux et les fusils –, le roi est retrouvé mort, sans qu'on puisse faire main basse sur le second trésor royal. Soupçonnant son successeur Sagipa d'en connaître la cachette, Quesada l'aide à accéder au trône. Lassé des tergiversations du cacique à répondre à ses questions, Quesada le met aussi à la torture. Sagipa continue de se taire. Il meurt un mois après, emportant avec lui son secret.

Quesada profite de ce répit dans la chasse au trésor pour fonder Santafé de Bogotá en 1538 sur le site même de Bacatá, la capitale des Chibchas. Plus tard en 1539, il créera la Nouvelle-Grenade, une capitainerie administrée par la vice-royauté de Lima au Pérou.

Du Pacifique, le conquistador Belalcázar continue sa marche vers le centre de la Colombie pour établir au passage les villes de Popayán en 1536, et plus tard de Cali en 1537, dans la vallée de Cauca.

L'architecture de l'époque coloniale est encore très présente à Popayán. Ici la cour intérieure de l'hôtel Monasterio, un ancien monastère érigé à l'époque des conquistadores.

Entre-temps, redevable de sa couronne à des emprunts consentis par des banques allemandes, Charles Quint avait accordé la concession du Venezuela aux banquiers et armateurs Welser de la ville hanséatique d'Augsburg en Allemagne. Beaucoup d'expéditions partent donc des côtes vénézuéliennes vers l'intérieur du pays. L'une d'elles parvient même à atteindre las sabanas, les savanes de Bogotá après un voyage de plus de trois ans, pour constater que les Espagnols y sont déjà bien implantés. Son commandement est assuré par un Allemand du nom de Klaüs Federmann, mais la troupe est formée essentiellement d'Espagnols et d'Indiens.

Au même moment, au sud de Bogotá, les Espagnols venus du Pacifique rencontrent pour la première fois des hommes qui parlent la même langue, à l'étonnement d'ailleurs des deux groupes. Et la Colombie devient le seul pays d'Amérique à avoir été "découvert" par l'Atlantique et le Pacifique en même temps, de 1501 à 1537, de trois sources différentes... sans que les conquistadores s'en doutent (les États-Unis, découverts le 27 mars 1513 par Juan Ponce de León ont été traversées d'est en ouest par Pánfilo de Narváes et ses hommes en 1536, ce dernier ayant été tué en Floride). Ce qui n'est pas sans provoquer des heurts et des empoignades entre les trois groupes, chacun des chefs réclamant pour lui le titre de commandeur de l'ordre de Saint-Jacques, une sorte de Légion d'Honneur qui comporte une forte rémunération de même que l'adelantado ou le titre de gouverneur des régions nouvellement conquises. Et les richesses qui s'y attachent lui permettant (enfin) de payer ses hommes. Ils y trouveront leur compte.

Tous ces nouveaux territoires conquis deviennent, en 1717, une vice-royauté indépendante de celle de Lima au Pérou mais toujours sous le nom de Nouvelle-Grenade. Elle comprend approximativement les territoires actuels de Panamá et de la Colombie auquel se rattache par la suite le Venezuela et une partie de l'Équateur. Abolie en 1724, la Nouvelle-Grenade fut reconstituée en 1739.

L'indépendance

Les premiers soubresauts anti-espagnols font leur apparition à Soccoro – dans l’actuel département de Santander – en 1781, dans le cadre du soulèvement vite avorté des comuneros contre l'augmentation des impôts sur les marchés. Les Espagnols adoptent de plus un train de mesures offensantes et discriminatoires dont l'interdiction du port des vêtements traditionnels pour les Indiens, l'expropriation de leurs terres collectives appartenant de toute façon à l'État et la déportation pure et simple de ces derniers en Espagne pour n'importe quelle raison.

La chute de la domination espagnole sur les Criollos (Espagnols nés en Amérique) est aussi précipitée par la guerre d'Indépendance des États-Unis de même que par la Révolution française. En effet, dès 1794, Antonio Nariño traduit la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, rédigée en France en 1789 par Marie Joseph, marquis de La Fayette, entre autres, un texte inspiré de la Déclaration d'indépendance des États-Unis, rédigée le 4 juillet 1776 par Thomas Jefferson. Ce texte explosif pour l'époque sème l'idée que la Colombie peut aussi accéder à l'indépendance et se libérer du joug maintenant trop oppressant de la mère patrie.

Entre 1809 et 1815, plusieurs villes se rebellent contre l'autorité coloniale et se regroupent pour former des cabildos (sorte de provinces indépendantes). Trois grands courants s'affrontent au cours de cette période : les royalistes, fidèles à l'administration coloniale, les centralistes de Bogotá qui désirent un état autonome de l'Espagne, et les fédéralistes regroupés à Cartagena, favorables à l'union de provinces aux pouvoirs très étendus au sein d'un État fédéré. Les nombreuses querelles et conflits entre ces lignes de pensée ruinent à la fois financièrement et moralement leurs protagonistes respectifs, facilitant ainsi la reconquête des territoires par les Espagnols entre 1815 à 1819. Cette période est marquée principalement par une répression cruelle et massive de la part de l'administration militaire coloniale, qui provoque un haut-le-cœur unanime même chez les plus fervents des royalistes.

Simón Bolívar

Le général Simón José Antonio de la Santísima Trinidad Bolívar y Palacios est encore aujourd'hui considéré comme le messie de l'Amérique du Sud. El Libertador, l'un des plus grands stratèges du temps, réussit en effet à expulser les Espagnols du territoire sud-américain et à offrir l'indépendance au peuple.

Après la libération partielle de son propre pays, ce Vénézuélien, né à Caracas d'une famille noble, envahit la Colombie avec 2 500 partisans, soutenu par le Colombien Francisco de Paula Santander. Ils battent les 5 000 Espagnols venus à leur rencontre au pont de Boyacá le 7 août 1819. Le 17 décembre de la même année à Angostura (aujourd'hui Ciudad Bolívar) au Venezuela, les représentants du peuple de l'ancienne vice-royauté de Santafé de Bogotá proclament l'indépendance. Ils nomment par acclamation Simón Bolívar président de la république de la Grande-Colombie qui comprend alors le Cundinamarca – autre nom pour désigner la Nouvelle-Grenade –, une partie du Pérou, la Bolivie, le Panamá et le Venezuela. Simón Bolívar en profite pour accorder l'égalité des droits aux Indiens. Il aide le Pérou à conquérir son indépendance et en devient même président en 1824.

Mais son rêve d'une grande nation unifiée à l'exemple des États-Unis ne fait pas long feu. Peu de temps après, en 1830, le Venezuela s'en détache, suivi de près par l'Équateur. Malheureusement, l'égalité de droit pour les Indiens disparaît en même temps que les sécessions et l'on s'empresse d'instaurer l'ancien régime. C'est désormais aux Métis que revient le droit de posséder des esclaves et ils se montrent, si cela se peut encore, plus cruels et inhumains que les Espagnols. Amer, usé par la guerre, miné par la tuberculose, Simón Bolívar s'éteint à Santa Marta le 17 décembre de la même année.

Francisco Santander, regagne la Colombie d'où il avait été exilé le lendemain de l'indépendance. Il le dirigera jusqu'à 1837. Sous sa présidence et celle de son successeur, deux grands partis politiques voient le jour : le Parti libéral (fédéraliste) et le Parti conservateur (centraliste). Le fossé entre ces deux partis se creuse si profondément que les provinces en profitent pour se constituer une autonomie presque totale jusqu'à la création en 1863 de Los Estados Unidos de Colombia. De nombreuses guerres civiles entre les États fédérés éclatent et mettent le pays à feu et à sang pendant de nombreuses années. En 1886, une commission gouvernementale réunissant des membres des deux partis élabore les textes de base de la constitution de la République de Colombie qui voit le jour en 1894 et qui comprend encore le territoire panaméen. Cette constitution restera en vigueur jusqu'en 1991.

Le Panamá s'en détache toutefois en 1903, à la suite d'une divergence fondamentale concernant le percement du canal interocéanique, le canal de Panamá creusé par l'ingénieur français Ferdinand de Lesseps en 1881 et terminé par les États-Unis en 1914. La Colombie ne reconnaît le fait qu'en 1921 après avoir encaissé une indemnisation de 25 millions de dollars de la part des États-Unis. C'est à partir de cette date que la Colombie devient ce qu'elle est aujourd'hui, héritière d'un passé glorieux et d'un avenir encore tumultueux, secoué par la guérilla, les coups de force et les émeutes.

La Colombie contemporaine, un marché aux putsches

Véritable pandémonium d'atrocités, le dernier siècle continue à perpétrer la violence issue des confrontations entre les deux principaux partis politiques, et voit se dérouler pas moins de 19 guerres civiles fratricides dont la "guerre des Mille Jours", de 1899 à 1902. Cette guerre meurtrière ruine l'économie et entraîne la sécession de l'actuel Panamá.

Les conservateurs parviennent néanmoins à garder le pouvoir jusqu'en 1930, date à laquelle les libéraux prennent leur place avec à leur tête Rafael Uribe. Lui succède un autre libéral, Alfonso López Pumarejo, qui assure la présidence de 1934 à 1938. Puis, pour deux mandats consécutifs, de 1938 à 1946, les libéraux conservent encore le pouvoir avec Eduardo Santos suivi par un deuxième mandat d'Alphonso López Pumarejo. Celui-ci démissionne finalement avant terme, en 1945, alors qu'Alberto Lleras Camargo assume l'intérim.

Depuis quelques années déjà, une lutte intestine rongeait le Parti libéral, et un avocat marxiste au charisme particulier, Jorge Eliécer Gaitán, décide de se présenter aux élections contre le candidat officiel. Le conservateur Mariano Ospina Perez en profite pour s'installer au pouvoir en 1946, alors que les libéraux se rallient en bloc autour de Gaitán. Menacés par le "gaitanisme" qui s'impose dans toutes les couches sociales, indépendamment des tendances politiques, les conservateurs utilisent la violence comme moyen de persuasion envers les électeurs. Ce qui n'empêche pas la signature, en 1948, d'une entente tripartite avec le Venezuela et l'Équateur concernant l'ouverture du marché entre ces trois pays.

Puis, toujours en 1948, surgit l'une des périodes les plus noires de l'histoire récente de la Colombie. Ce triste épisode débute par l'assassinat de Gaitán, suivi de la mise à sac spontanée de Bogotá par une population révoltée devant ce geste. Il en résulte 10 années de terreurs qui font plus de 300 000 morts. Les uns la surnomment La Violencia et les autres bogotazo. Les deux partis se livrent à des assassinats et à des actes d'une violence sans précédent, allant de l'élimination de familles entières, aux tortures physiques de toutes sortes. Ici, ce n'est plus la mort qui prend de l'importance mais la mise en scène qu'on en fait. On arrache les yeux. On tranche les oreilles. On éventre les femmes enceintes. On émascule les hommes pour les empêcher de se reproduire. On tue les parents devant les enfants et les enfants au nez des parents. Rien n'échappe à l'horreur. Toutes les institutions et même la religion participent à la frénésie. La campagne faisant l'objet d'une attention toute particulière de la part des protagonistes, il s'ensuit un exode sans précédent vers les villes aucunement préparées à recevoir le flot massif de ces nouveaux venus, démunis, affamés, qui n'ont d'autres recours que de s'installer dans des bidonvilles en périphérie des quartiers déjà existants.

La Violencia finit tout de même par s'atténuer sous la dictature du général, Gustavo Rojas Pinilla, commandant en chef de l'armée, qui prend le pouvoir de 1953 à 1957 à la suite d'un pronunciamiento, un coup d'état. Exténués par leurs affrontements meurtriers, les deux partis réunis sous l'insigne du Front national concluent un accord d'alternance du pouvoir et de partage égal des charges administratives, cependant que le général Pinilla est forcé à l'exil en Espagne. Il s'agit du "pacte de Benidorm" qui donne à la Colombie une période de relative stabilité. De 1958 à 1962, le libéral Alberto Lleras Camargo prend la tête du gouvernement, succédé de 1962 à 1966 par le conservateur Guillermo León Valencia et suivi par le libéral Carlos Lleras Restrepo, de 1966 à 1970.

Sur l'entrefaite et en réponse à ces administrations incapables d'améliorer la situation économique du pays (problème agraire, chômage, fiscalité, éducation, entre autres), on assiste à l'apparition de plusieurs groupements de guérilleros. On dénombre entre autres, les Forces armées révolutionnaires colombiennes et communistes (F.A.R.C.), l'Armée populaire de libération maoïste (Ejército de liberación popular, E.L.P.) et le M-19, le mouvement du 19-Avril (date de la mort de Jorge Eliécer Gaitán) regroupant des éléments populistes et nationalistes. Ils réussissent à gêner le gouvernement par des actions spectaculaires sans toutefois le déstabiliser complètement.

Les élections de 1970 portent au pouvoir le conservateur Misael Pastrana Borrero jusqu'en 1974 sur une fraude gouvernementale. Le vote massif des Colombiens allait en faveur de son adversaire Rojas. En 1974, c'est le libéral Alfonzo López Michelsen qui est porté au pouvoir, suivi par les présidences successives du libéral Julio César Turbay Ayala de 1978 à 1982 et du conservateur Belisario Betancur, de 1982-1986. Mais le clivage sociologique et la polarisation encore plus marqués des tendances politiques débouchent encore une fois sur la violence, alors que plus de 60% de la population s'abstient de voter à des élections qu'elle considère factices. Bétancur veut à tout prix instaurer un programme social-chrétien et établir une paix rationnelle avec les guérilleros. Après de nombreuses déceptions, le non-respect des ententes intervenues et l'assassinat par des forces occultes de guérilleros amnistiés par le gouvernement, les groupes révolutionnaires reprennent le maquis.

Peu après l'attaque du palais de Justice de Bogotá qui se termine dans un bain de sang en 1985, Bétancur décide d'œuvrer sur le plan international. Il joue un rôle prépondérant dans la création du groupe Contadora, destiné à mettre fin aux conflits en Amérique centrale, avec l'aide du Mexique, du Panamá et du Venezuela. Le groupe Contadora évite entre autres une intervention armée directe des États-Unis lors du conflit au Nicaragua. Ronald Reagan y voyait en effet une tentative d'expansion du communisme international, alors que Contadora réussit à la ramener à une dimension locale. Le groupe Contadora réussit aussi à formuler des principes destinés à ramener une paix sociale, un modus vivendi, entre les différents groupements politiques dans la majorité des pays d'Amérique latine. En Colombie, pendant les années qui suivent, la plupart des groupes de guérilleros délaissent la montagne pour se présenter dans l'arène politique officielle. Ils jouent le rôle de véritable opposition en dénonçant l'insécurité matérielle, les inégalités sociales et la pauvreté engendrée par les privilèges dont jouissent encore les grands propriétaires terriens.

Le libéral Virgilio Barco prend le pouvoir de 1986 à 1990 et mène une lutte active aux narcotrafiquants qui culmine avec l'assassinat, en août 1989, du candidat libéral à la présidence Luis Carlos Galán. Le conservateur Cesar Gaviria prend le pouvoir de 1990 à 1994, alors qu'à la lumière d'une refonte de la Constitution le 5 juillet 1991, on voit poindre un gouvernement à tendance réellement pluraliste. Mais en 1992, la situation économique se détériore encore et la guérilla se manifeste de nouveau. C'est l'un des principaux problèmes, avec celui de la drogue toujours présent, qu’a affronté le libéral et très controversé Ernesto Samper Pizano au cours de son mandat de 1994 à 1998. D’autre part, Samper a dû faire face à de fortes pressions, en 1996, pour démissionner en cours de mandat, accusé qu’il fut d’avoir reçu plus de 5 millions de dollars du cartel de Cali pour financer sa campagne électorale. Le conservateur et ancien maire de Bogotá, Andrés Pastrana Arango, dirige aujourd’hui les destinés de la Colombie, depuis la passation des pouvoirs de 7 août 1998, alors qu’il avait été élu au deuxième tour au cours des élections du mois de juin précédent. Il a battu Horacio Serpa, le successeur du libéral Ernesto Samper Pizano. Dès son accès au pouvoir et avec l’aide notamment du prix Nobel Gabriel García Márquez, Andrés Pastrana a initié des pourparlers avec les principaux groupes de guérilleros de façon à instaurer une paix durable et réclamée à grands cris par l’ensemble de la population en Colombie. Depuis son élection et grâce à la crédibilité du nouveau leader colombien, les relations avec les États-Unis se sont grandement améliorées, alors que le départment d’État américain a laissé entendre qu’il désirait tournée la page et établir des relations bilatérales basées sur un agenda qui va bien au-délà de celui de la drogue.

SOURCE : Les guides ULYSSE/COLOMBIE

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